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Celui-ci lui répondit par un léger hochement de tête et se recentra sur le contenu de son assiette. Au même moment, la mère se leva et décrocha Pü de son sein. Le petit, déjà bien rassasié, ne broncha pas, mais continua de malaxer le globe de chair pour maintenir le contact. Elle le changea, troquant ses langes souillés par la nuit contre une jolie culotte tressée. Quelques dizaines de minutes passèrent, et la famille était prête à partir. | Celui-ci lui répondit par un léger hochement de tête et se recentra sur le contenu de son assiette. Au même moment, la mère se leva et décrocha Pü de son sein. Le petit, déjà bien rassasié, ne broncha pas, mais continua de malaxer le globe de chair pour maintenir le contact. Elle le changea, troquant ses langes souillés par la nuit contre une jolie culotte tressée. Quelques dizaines de minutes passèrent, et la famille était prête à partir. | ||
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− | Pü plissa les yeux lorsque sa mère sortit de la hutte. Sa tribu avait beau être installée dans une gigantesque souche d’arbre-ciel abattu, le plafond d’écorce, très abîmé, laissait passer quelques rayons astraux à certains moments de la journée, dont un venait à l’instant de trouver l’œil du petit Zoraï, qui se réfugia entre les seins de sa mère. Sans lumière céleste, la communauté s’éclairait à l’aide de lampes contenant des lucioles. Si certains auraient pu qualifier l’ambiance de lugubre, Pü adorait quand sa mère l’emmenait se balader dans les ruelles pentues et sinueuses, ou sur les ponts suspendus qui reliaient les différents niveaux de la petite cité. Le village, bien plus haut que large, avait été construit dans la verticalité. Les habitations occupaient les hauteurs, tandis que les strates inférieures étaient réservées aux parties communes, telles que les commerces, les lieux de cultes, le dojo, ou encore le réfectoire. Pü adorait le réfectoire. Les autres Zoraïs étaient très gentils avec lui et la nourriture abondait. Pourtant, cette fois-ci, le bambin sentit que la balade n’avait rien d’ordinaire. Les autres membres de la tribu étaient présents en nombre, et formaient un chemin reliant la hutte familiale aux hauteurs du village. Tous portaient leur tenue cérémonielle noire, constituée d’un pagne de fibres végétales, d’une large ceinture de paille tressée, mais surtout reconnaissable à l’imposante lentille d’ambre blanc qui ornait chacun des plexus. Au fur et à mesure que la famille avançait, menée par la mère de Pü, les habitants s’inclinaient avec déférence et rejoignaient le groupe. Comme cette scène le laissait deviner, | + | Pü plissa les yeux lorsque sa mère sortit de la hutte. Sa tribu avait beau être installée dans une gigantesque souche d’arbre-ciel abattu, le plafond d’écorce, très abîmé, laissait passer quelques rayons astraux à certains moments de la journée, dont un venait à l’instant de trouver l’œil du petit Zoraï, qui se réfugia entre les seins de sa mère. Sans lumière céleste, la communauté s’éclairait à l’aide de lampes contenant des lucioles. Si certains auraient pu qualifier l’ambiance de lugubre, Pü adorait quand sa mère l’emmenait se balader dans les ruelles pentues et sinueuses, ou sur les ponts suspendus qui reliaient les différents niveaux de la petite cité. Le village, bien plus haut que large, avait été construit dans la verticalité. Les habitations occupaient les hauteurs, tandis que les strates inférieures étaient réservées aux parties communes, telles que les commerces, les lieux de cultes, le dojo, ou encore le réfectoire. Pü adorait le réfectoire. Les autres Zoraïs étaient très gentils avec lui et la nourriture abondait. Pourtant, cette fois-ci, le bambin sentit que la balade n’avait rien d’ordinaire. Les autres membres de la tribu étaient présents en nombre, et formaient un chemin reliant la hutte familiale aux hauteurs du village. Tous portaient leur tenue cérémonielle noire, constituée d’un pagne de fibres végétales, d’une large ceinture de paille tressée, mais surtout reconnaissable à l’imposante lentille d’ambre blanc qui ornait chacun des plexus. Au fur et à mesure que la famille avançait, menée par la mère de Pü, les habitants s’inclinaient avec déférence et rejoignaient le groupe. Le bambin, repu et bercé par la marche de sa mère, s’assoupit d’un sommeil léger. Comme cette scène le laissait deviner, sa famille n’était pas une famille ordinaire. |
Looï Fu-Tao, la mère de Pü, exerçait à l’extérieur du village la fonction de diplomate, chargée de maintenir des relations avec la Théocratie Zoraï, le régime politique qui gouvernait le pays depuis presque trois siècles, et dont le siège était situé à [[Zoran]], sa capitale. Depuis une quarantaine d’années, le Grand Sage [[Min-Cho]] représentait la plus haute autorité homine de la Théocratie, qui, assistée par le Conseil des Sages, dirigeait la Jungle, le pays natal du peuple zoraï. Si les Sages espéraient que les membres de la « Tribu de la Souche Maudite » – comme ils aimaient la nommer – finiraient par accepter l’autorité de la Théocratie, rien n’y faisait. Il y avait maintenant plusieurs générations que la tribu avait fait sécession, et les choses ne semblaient pas être sur le point de changer. Mais Looï n’était pas seulement une diplomate. Au sein du village, elle était avant tout la Grande Prêtresse du Culte Noir de [[Ma-Duk]], dépositaire de l’autorité religieuse. | Looï Fu-Tao, la mère de Pü, exerçait à l’extérieur du village la fonction de diplomate, chargée de maintenir des relations avec la Théocratie Zoraï, le régime politique qui gouvernait le pays depuis presque trois siècles, et dont le siège était situé à [[Zoran]], sa capitale. Depuis une quarantaine d’années, le Grand Sage [[Min-Cho]] représentait la plus haute autorité homine de la Théocratie, qui, assistée par le Conseil des Sages, dirigeait la Jungle, le pays natal du peuple zoraï. Si les Sages espéraient que les membres de la « Tribu de la Souche Maudite » – comme ils aimaient la nommer – finiraient par accepter l’autorité de la Théocratie, rien n’y faisait. Il y avait maintenant plusieurs générations que la tribu avait fait sécession, et les choses ne semblaient pas être sur le point de changer. Mais Looï n’était pas seulement une diplomate. Au sein du village, elle était avant tout la Grande Prêtresse du Culte Noir de [[Ma-Duk]], dépositaire de l’autorité religieuse. | ||
}}[[file:Sang Fu-Tao etait.png|left|400px|alt=Sang Fu-Tao était le Masque Noir|Sang Fu-Tao était le Masque Noir]] | }}[[file:Sang Fu-Tao etait.png|left|400px|alt=Sang Fu-Tao était le Masque Noir|Sang Fu-Tao était le Masque Noir]] | ||
− | {{Paragraphes FR|Son époux '''Sang Fu-Tao était le Masque Noir''', le Premier Guerrier, chef militaire de la tribu. Quelques mois après sa naissance, Niï, leur fils aîné, avait été promis à un grand destin par Grand-Mère Bä-Bä, la sorcière et voyante du village. D’après la prophétie | + | {{Paragraphes FR|Son époux '''Sang Fu-Tao était le Masque Noir''', le Premier Guerrier, chef militaire de la tribu. Quelques mois après sa naissance, Niï, leur fils aîné, avait été promis à un grand destin par Grand-Mère Bä-Bä, la sorcière et voyante du village. D’après la prophétie, Niï Fu-Tao succéderait un jour à son père en tant que Masque Noir, et par-dessus tout, deviendrait le Guerrier Sacré. Élu de Ma-Duk le Grand Géniteur, Niï Fu-Tao serait amené à faire le tour du monde, convertissant les égarés à la Vraie Foi, soumettant les athées et exterminant les hérétiques. Pour la Théocratie Zoraï, cette prophétie relevait justement de l’hérésie. |
Car le conflit qui opposait la tribu au reste du pays était avant tout religieux. Certes, tous les Zoraïs vénéraient les [[Kamis]], de mystérieuses entités spirituelles protectrices des [[Écosystème|écosystèmes]]. Capables de changer d’apparence à volonté et de voyager sans contrainte physique, ces gardiens divins s’assuraient en permanence que personne ne compromette le fragile équilibre d’[[Atys]], la planète végétale où tous coexistaient. Bien que discrets, ils entretenaient d’étroites relations avec les homins, tant que ceux-ci se montraient respectueux de la nature. Parmi les différents peuples homins, les Zoraïs étaient de loin les plus réceptifs à la magie des Kamis. Déjà pourvus d’une grande taille et d’une peau bleue, qui les distinguaient du reste de l’hominité, un masque osseux et cornu leur poussait en outre sur le visage, depuis leur front, dans leur adolescence. Ce masque représentait l’âme véritable de son porteur et témoignait du lien unique qu’il entretenait avec les Kamis. Pourtant, si chaque Zoraï vénérait les Kamis, tous n’étaient pas d’accord quant à l’identité du Kami Suprême. Pour l’immense majorité des Zoraïs, les Kamis servaient [[Jena]], la Déesse de l'Astre du Jour et la Mère de l’Hominité. Pour la tribu dissidente, Jena était une déesse usurpatrice venue du ciel, étrangère à Atys, et lui voulant du mal. Selon eux, le seul et unique Kami Suprême était Ma-Duk, signifiant « Grand Masque » en langage zoraï. Il était le Grand Géniteur, endormi dans les profondeurs d’Atys. Un dieu que personne ne reconnaissait hormis eux. | Car le conflit qui opposait la tribu au reste du pays était avant tout religieux. Certes, tous les Zoraïs vénéraient les [[Kamis]], de mystérieuses entités spirituelles protectrices des [[Écosystème|écosystèmes]]. Capables de changer d’apparence à volonté et de voyager sans contrainte physique, ces gardiens divins s’assuraient en permanence que personne ne compromette le fragile équilibre d’[[Atys]], la planète végétale où tous coexistaient. Bien que discrets, ils entretenaient d’étroites relations avec les homins, tant que ceux-ci se montraient respectueux de la nature. Parmi les différents peuples homins, les Zoraïs étaient de loin les plus réceptifs à la magie des Kamis. Déjà pourvus d’une grande taille et d’une peau bleue, qui les distinguaient du reste de l’hominité, un masque osseux et cornu leur poussait en outre sur le visage, depuis leur front, dans leur adolescence. Ce masque représentait l’âme véritable de son porteur et témoignait du lien unique qu’il entretenait avec les Kamis. Pourtant, si chaque Zoraï vénérait les Kamis, tous n’étaient pas d’accord quant à l’identité du Kami Suprême. Pour l’immense majorité des Zoraïs, les Kamis servaient [[Jena]], la Déesse de l'Astre du Jour et la Mère de l’Hominité. Pour la tribu dissidente, Jena était une déesse usurpatrice venue du ciel, étrangère à Atys, et lui voulant du mal. Selon eux, le seul et unique Kami Suprême était Ma-Duk, signifiant « Grand Masque » en langage zoraï. Il était le Grand Géniteur, endormi dans les profondeurs d’Atys. Un dieu que personne ne reconnaissait hormis eux. | ||
− | Mais la discordance ne s'arrêtait pas là. La Théocratie Zoraï, devenue particulièrement isolationniste | + | Mais la discordance ne s'arrêtait pas là. La Théocratie Zoraï, devenue particulièrement isolationniste au cours du dernier siècle, avait construit la [[Grand Mur|Grande Muraille]], gigantesque édifice protégeant les frontières de la Jungle de tout contact étranger. Pourtant, cette Grande Muraille n'avait jamais empêché la Théocratie de maintenir ses relations avec la [[Karavan]], un étrange groupe d’hominoïdes vêtus de la tête aux pieds de surprenantes armures noires et usant d’instruments prodigieux. Ces singulières entités, dont personne ne connaissait la véritable nature, vivaient dans le ciel d’Atys. Voyageant à l’aide de curieux véhicules capables de vaincre la gravité, ils sillonnaient la planète afin de propager la parole et servir les intérêts de la déesse Jena. En échange de leur loyauté, la Karavan avait transmis aux Zoraïs les secrets du magnétisme et des propriétés électrostatiques, et leur avait aussi enseigné l’écriture. Si les Kamis abominaient la Karavan, et n’hésitaient pas à le faire savoir aux homins, cela n’avait pourtant jamais empêché le Conseil des Sages d’accepter leurs cadeaux, et d’utiliser encore aujourd’hui le savoir karavanier pour faire léviter les bâtiments de Zoran. Pour la tribu dissidente, en tant qu’apôtre de Jena abhorrée des Kamis, la Karavan devait être considérée comme une menace sérieuse et être combattue en conséquence. |
Là, se situaient les divergences. Des divergences qui échauffaient l’esprit du Grand Sage Min-Cho et de ses conseillers, incapables d’accepter toute critique idéologique, et qui donnaient à la tribu dissidente des envies de guerre sainte. Plutôt que de l’attaquer frontalement, craignant les prouesses de ses soldats et les mystérieux pouvoirs de Grand-Mère Bä-Bä, la Théocratie Zoraï faisait passer la tribu pour une vulgaire secte païenne auprès des peuplades de la Jungle. Ce qui avait jusqu’alors plutôt bien fonctionné. | Là, se situaient les divergences. Des divergences qui échauffaient l’esprit du Grand Sage Min-Cho et de ses conseillers, incapables d’accepter toute critique idéologique, et qui donnaient à la tribu dissidente des envies de guerre sainte. Plutôt que de l’attaquer frontalement, craignant les prouesses de ses soldats et les mystérieux pouvoirs de Grand-Mère Bä-Bä, la Théocratie Zoraï faisait passer la tribu pour une vulgaire secte païenne auprès des peuplades de la Jungle. Ce qui avait jusqu’alors plutôt bien fonctionné. | ||
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Pour Pü Fu-Tao, le petit dernier-né, blotti à cet instant contre la poitrine maternelle, rien de tout ça ne faisait encore sens. Et pourtant, de ses grands yeux noirs, il regardait les villageois d’un air étonné, conscient que, aujourd’hui, quelque chose semblait différer. Peut-être savait-il, au fond de lui, que quelque chose d’important était sur le point d’arriver. Lorsque, reconnaissant les ruelles entre les huttes, il comprit qu’ils se rendaient chez Grand-Mère Bä-Bä, son cœur commença à s’emballer. Il n’aimait pas la vieille dame. Son masque décharné lui faisait peur, son odeur lui piquait le nez, et sa présence était associée à la maladie. Grand-Mère Bä-Bä était en effet aussi la soigneuse du village, qu’on allait voir pour trouver solution à ses problèmes. Si le couple Fu-Tao représentait l’autorité au sein de la tribu, tout le monde savait que Grand-Mère Bä-Bä était en réalité le pilier central de la communauté. On racontait qu’elle était plus vieille que le plus vieux Zoraï du pays, et qu’elle avait aidé à accoucher chaque membre de la tribu. | Pour Pü Fu-Tao, le petit dernier-né, blotti à cet instant contre la poitrine maternelle, rien de tout ça ne faisait encore sens. Et pourtant, de ses grands yeux noirs, il regardait les villageois d’un air étonné, conscient que, aujourd’hui, quelque chose semblait différer. Peut-être savait-il, au fond de lui, que quelque chose d’important était sur le point d’arriver. Lorsque, reconnaissant les ruelles entre les huttes, il comprit qu’ils se rendaient chez Grand-Mère Bä-Bä, son cœur commença à s’emballer. Il n’aimait pas la vieille dame. Son masque décharné lui faisait peur, son odeur lui piquait le nez, et sa présence était associée à la maladie. Grand-Mère Bä-Bä était en effet aussi la soigneuse du village, qu’on allait voir pour trouver solution à ses problèmes. Si le couple Fu-Tao représentait l’autorité au sein de la tribu, tout le monde savait que Grand-Mère Bä-Bä était en réalité le pilier central de la communauté. On racontait qu’elle était plus vieille que le plus vieux Zoraï du pays, et qu’elle avait aidé à accoucher chaque membre de la tribu. | ||
Версия 14:20, 16 декабря 2021
“Шаблон:Paragraphes FR Шаблон:Paragraphes FR— Bélénor Nébius, narrateur • Cheng Lai'SuKi, illustratrice
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