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{{Quotation|''Bélénor Nébius, narrateur''|
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« Épines ! »
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Malgré le tumulte assourdissant du vent, toutes et tous reconnurent la voix lointaine de Brandille. Et en une fraction de seconde, la troupe se jeta au sol. Toute la troupe hormis Eurixus. Au même moment, une gigantesque épine enflammée surgit du brouillard de sciure, frôla l’imposante racine sur laquelle Melkiar et Varran s’étaient arrimés, et fondit sur le malheureux Fyros, dont l’accumulation de fatigue avait eu raison de la réactivité. Son torse explosa sous l’impact du projectile.
  
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« Merde, Eurixus est mort ! cria Xynala, la voix étouffée par son masque respiratoire.
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— Détachez-le ! hurla Melkiar entre deux bourrasques.
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— Pas une nouvelle fois Melkiar, on doit l’inhumer !
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— Xynala, nous n’avons pas le temps ! Brûle son corps et laisse ses cendres au Désert ! Personne ne l’oubliera ! »
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Les crampons de ses bottes partiellement enfoncés dans le sol meuble, la Fyrosse jura et enfila ses amplificateurs de magie. Elle attrapa la sangle que Tisse lui tendit, l’accrocha solidement à son harnais, puis décrocha le respirateur et les armes du cadavre ballotant de leur défunt camarade. Malheureusement, son précieux sac avait explosé sous le choc et ne pouvait pas être récupéré. Une fois le matériel saisi, Xynala fixa du regard l’épaisse visière d’ambre du masque de Tisse. Elle attendit que l’homine lui réponde d’un signe de tête, puis compta jusqu’à trois. Alors, les deux Fyrosses détachèrent simultanément les mousquetons qui les liaient à Eurixus. Telle une poupée de chiffon, le corps s’envola en queue de cortège. Finalement, Xynala imprima sa volonté à la Sève qui l’irriguait et, précise, envoya un jet de flamme en direction du corps du soldat, qui s’embrasa instantanément. Cloîtré dans sa combinaison protectrice, et allongé sur le sol instable et bouillonnant, Bélénor n’était pas capable de voir à plus de deux mètres. Il comprit malgré tout de quoi il s’agissait lorsqu’il vit la masse enflammée passer derrière le rideau de sciure écarlate. Il avait entendu la plainte de Xynala. Garrius, dernier maillon de la chaîne homine, posa une main rassurante sur le casque épais du Fyros.
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« Ne t’inquiète pas Bélénor, je veille sur toi. Allez, on se relève ! »
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Bélénor déglutit et obéit.
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« Un mort de plus » pensa-t-il. S’il n’avait pas vraiment eu le temps de se lier d’amitié avec Eurixus, sa perte n’en restait pas moins bouleversante. Elles l’étaient toutes. Définitivement, Bélénor ne s’était pas attendu à tant de difficultés, et cela malgré le fait que Melkiar les ait maintes fois prévenu de la dangerosité de cette expédition. Ou plutôt, il s’était cru prêt. Après tout, les entraînements quotidiens à l’Académie étaient exigeants et variés. Mais finalement, il avait compris que rien ne pouvait préparer les habitants de la confortable Fyre aux conditions de vie de l’ouest désertique, et particulièrement celles du terrible Désert de Feu. Il fallait le vivre pour le croire.
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« On se regroupe ! » hurla Melkiar par dessus le vacarme de la tempête incandescente. Garius plaqua ses grosses mains sur le dos protégé de Bélénor, qui en fit de même avec le soldat qui le devançait. Et tandis que Melkiar et Varran tiraient sur le câble en tête de cortège, Garrius et ses camarades poussaient de toutes leurs forces. Finalement, chaque soldat réussit à planter sa sardine d’ambre durcie dans la racine protectrice. Le harnais solidement attaché à l’ancre de bois, Bélénor mit tout son poids sur sa longe et laissa ses membres brimbaler aux vents. Après plusieurs heures d’efforts constants, ses muscles refusaient de se détendre, comme bloqués en état de contracture permanent. Aussi, sa capacité à manipuler la Sève avait failli. Car si les combinaisons protectrices permettaient d’encaisser une partie des dégâts thermiques, la magie restait la meilleure alliée des homins lorsqu’il s’agissait de protéger et réparer son corps.
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« Soldats, Fort Kronk n’est plus qu'à quelques heures de marche ! Une fois que nous aurons passé cette dune, après que la tempête se sera dissipée, nous pourrons enfin l’apercevoir au loin ! Aussi, cela signifiera que nous arrivons à la fin du Désert de Feu, et donc que le plus dur aura été fait ! Alors ne désespérez pas, camarades ! Car si le Désert le veut, à l’aube, c’est à l'abri que nous dormirons ! Et à notre réveil, nous pourrons festoyer en l’honneur de Eurixus et de tous nos disparus ! »
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En réaction à ces paroles, les soldats poussèrent des cris d’espoir. Bélénor, le corps ballottant au vent, jeta un regard à ses camarades. Leur escouade, comme les cinq autres qui formaient l’escadron du capitaine Apokillo, était initialement composée de vingt-cinq soldats. Désormais, elle n’en comptait plus que dix-neuf… Le Fyros regrettait tant d’être parti de la cité de Coriolis, là où les différentes escouades avaient été constituées. D’autant qu’il avait apprécié le voyage au sein de l'escadron depuis Fyre, ainsi que la longue halte qu’ils avaient faite dans la célèbre cité minière, source de tant de gloire et de malheur. D’ailleurs, Coriolis n’était pas vraiment une cité, mais plutôt une agglomération de mines et de chantiers de fouilles, entassés dans une gigantesque vallée de la Dorsale du Dragon. Un regroupement de bidonvilles, aussi, dans lesquels s’entassaient les impétueux mineurs fyros. Les quelques demeures confortables de la cité étaient occupées par des représentants impériaux, des personnalités importantes et des chefs de guilde. C’était le cas de Tiralion, le père de Bélénor, qui avait finalement décidé de s’installer là après l’intronisation du sharükos Krospas, malgré le refus de sa femme de le suivre. Pour Eutis, cela aurait signifié devoir rendre sa robe de sénatrice, ce qu’elle n’avait jamais voulu envisager. Officiellement, cette décision manifestait sa volonté de se rapprocher physiquement de ses Têtes de Pioche, et donc de ses affaires. Mais en vérité, Bélénor et sa mère savaient que Tiralion, craignant les représailles du nouveau pouvoir impérial, avait tout bonnement fui la capitale. À l’occasion de l’expédition de son fils, et de leur halte à Coriolis, Eutis avait décidé d’accompagner les caravanes marchandes. Bélénor se serait bien passé de la présence de sa mère, ainsi que de ce repas d’accueil mondain, durant lequel son père l’avait présenté à quelques notables fortunés à la recherche d’un bon parti. Ce n’était pourtant pas faute de lui avoir maintes fois répété qu’il ne souhaitait ni reprendre son affaire, ni celle d’un autre,  aussi mignons et sympathiques seraient les homins qu’on lui présenterait. Fort heureusement, sa nourrice Penala avait accompagné sa mère jusqu’à Coriolis, et avait été présente à ses côtés tout du long du séjour. Sa compagnie avait grandement adouci les réunions familiales. Malgré tout, le Fyros essaya quand même de fuir au maximum la résidence de son père, préférant se perdre dans les dédales bioluminescents des chantiers caverneux. Comme tout Fyros, Bélénor était fasciné par les entrailles d’Atys et les mystérieuses reliques et ruines antiques qu’elles abritaient. Pour autant, il savait aussi à quel point la fièvre de la découverte pouvait faire prendre des risques inconsidérés à son peuple. Cinquante ans exactement auparavant, encouragés par la récolte d’étranges matériaux, des mineurs fyros avaient percé une veine d’acide, et par cette imprudence, causé la mort de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Malheureusement, pour beaucoup de citoyens de l’Empire, cette catastrophe n’était pas directement d’origine homine. Pour eux, Fyrak le Grand Dragon, l’ennemi mythologique du peuple fyros, était le premier responsable. Ainsi, cinquante années plus tard, la plaine de Coriolis était-elle devenue le miroir déformant des croyances Fyros : jamais la région n’avait été aussi riche en activité minière. Jamais les fouilles visant à trouver la tanière de Fyrak n’avaient été aussi nombreuses. Comme une minorité de Fyros, Bélénor fustigeait la folie des siens, et craignait qu’un second événement apocalyptique ne se produise d’ici peu : un éboulement, une coulée d’acide, un séisme, ou pire encore… Après tout, si les entrailles d’Atys recelaient maints trésors, elles dissimulaient sans nul doute aussi nombre de cauchemars. Des cauchemars bien réels. Des cauchemars potentiellement bien plus terribles que la plus redoutée créature de la mythologie fyrosse…
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« Lavanche ! »
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Bélénor fût tiré de ses pensées par le cris lointain de Brandille.
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« On grimpe ! » exhorta Melkiar. Sans attendre, Bélénor attrapa sa longe et se hissa tant bien que mal jusqu’à l’imposante racine, dont ses camarades étaient déjà en train de faire l’ascension. Lorsqu’il planta finalement ses gants crantés dans le bois épais de l’excroissance ligneuse, il se rendit compte en regardant ses pieds que le sol avait déjà mué en une épaisse coulée de sciure embrasée.
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« Bélénor, accélère ! » hurla Xynala. Le Fyros fût pris d’une peur panique lorsqu’il vit que la dune située en amont avait gonflé de plusieurs mètres cubes et était désormais en train de fondre dans leur direction. Si ses camarades étaient placés assez haut pour esquiver la vague de sciure brulante, lui devrait sans nul doute l’encaisser. Alors, Bélénor s’agrippa fermement à la racine, espérant n'en pas être arraché par à l’impact. C’était compter sans la force et la portée des bras de Garrius, qui, suspendu par la cheville au bras de Xynala, réussit à saisir son camarade par les épaules, à l’écarter de la paroi d’écorce, et à le propulser au-dessus de lui. Varran et Melkiar attrapèrent Bélénor au moment où Garius se redressait, esquivant de peu le torrent de feu. Plaquant le Fyros contre la racine, le colosse appuya violemment sur ses mains et pieds, de telle sorte qu’il adhère à l’écorce.
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« Bélénor, on t’aime bien, mais on va pas se tuer pour toi, d’accord ? Alors arrête de rêvasser, c’est vraiment pas le moment !
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— Pa… Pardon Varran. » souffla Bélénor, encore sous le choc.
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« Accalmie ! »
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À nouveau, la voix de Brandille résonna. Et à nouveau, son présage était juste : le courant ascendant était en train de ralentir, et par conséquent, le rideau de sciure s’ouvrait vers l’horizon. Cherchant son amie du regard, Bélénor n’aperçut qu’un immense botoga, éclairé par la lueur nocturne de l’astre ambré. Situé à l’écart de toutes failles, l’arbre au tronc ventru et à la canopée en forme d’ombrelle feuillue, ne semblait pas être inquiété par les tempêtes de feu. Et si la couleur charbon de son écorce témoignait bien de luttes récurrentes et intenses, elle illustrait avant tout sa forte adaptation aux conditions extrêmes du milieu. S’attardant quelques secondes sur ses hautes branches au feuillage épais, qui ballottaient au gré du vent, Bélénor aperçut une irrégularité au centre de l’ombrelle végétale, sous les étoiles. Une petite forme gesticulante, dont les deux bras s’agitaient en cadence. Brandille. Le Fyros sourit derrière son masque, heureux de voir que son amie avait trouvé un perchoir frais et confortable, même si l’imaginer redescendre sans aide le tracassait. Car si lui était désormais suspendu à une dizaine de mètres du sol, l’arbre que Brandille avait escaladé devait mesurer dans les cinquante mètres. Ah, Brandille… Sans sa présence, le groupe aurait sans nul doute été amputé de la moitié de ses soldats. En effet, depuis leur départ de la plaine de Coriolis, la dernière région occidentale sous juridiction impériale, les événements étaient allés de mal en pis. Si le voyage avait été marqué par de nombreuses attaques des Sauvages, c’était avant tout les violents torrents d’air venu des Primes Racines, à l’origine de terribles tempêtes de feu, qui avaient mis le groupe en péril. Certes, le désert extrême-occidental était connu pour abriter des vents extrêmes et afficher des températures infernales. Mais Melkiar lui-même, qui était pourtant né dans une région voisine située plus au sud, avait été surpris par la violence des perturbations. Bélénor reliait ces phénomènes anormaux à la soudaine montée de température observée sous l’écorce, accentuant ainsi le différentiel de pression avec la surface. Brandille, qui entretenait une relation très particulière avec le vent, avait permis de trouver les meilleurs passages à travers les dunes et les crevasses, et avait réussi à prédire précisément chaque levée de tempêtes. À ce jour, tous les décès étaient liés à des fautes d’inattention ou à un manque de réactivité. C’est ainsi que le lieutenant Diocaneon Xydos, chargé de diriger l’escouade militaire jusqu’à Fort Kronk, avait disparu en chutant dans une faille alors que le groupe fuyait un troupeau de shalahs, ces pachydermes au lourd pelage jaune et hirsute, à la face recouvert de plaques de cuir boudinées, et aux deux longues et solides défenses. Si pris individuellement, ces animaux étaient relativement facile à abattre, un troupeau entier représentait un danger mortel. Bien que simple réserviste âgé de seulement vingt-cinq ans, Melkiar avait naturellement pris le commandement de la troupe. Aucun des militaires de l’escouade, même parmi les plus expérimentés, ne s'y était opposé : le jeune académicien s'était montré, depuis leur départ de Coriolis, comme le plus à même de l'exercer.
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Suspendu à la racine, le groupe patienta une dizaine de minutes le temps que les dernières bourrasques cessent, puis se dirigea finalement vers le botoga de Brandille. L’acrobate, qui avait  rejoint le pied de l’arbre immense sans difficulté, était en train de sucer un morceau d’écorce gorgée d’eau lorsque Bélénor l'aperçut à flanc de dune. Le Fyros dévala la pente poudreuse à toute vitesse, se précipita vers Brandille et l’attrapa par les aisselles. Son contact lui avait manqué. Quelques secondes plus tard, Melkiar arriva en bas de la dune, son masque respiratoire à la main. Bélénor retira le sien et sourit à son ami. Il n’était pas habitué à le voir aussi barbu. Lui-même ne s’était pas rasé depuis plusieurs jours, et portait désormais une épaisse toison rouge rappelant vaguement celle de son père. Croisant le regard de Bélénor, Brandille lui fit un clin d'œil puis caressa sa fine moustache. Parfois, le Fyros avait l’impression que son amie était capable de lire dans ses pensées. Et puis, soudainement, Melkiar s’inclina bien bas devant ses deux camarades.
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« À nouveau, merci pour ton aide Brandille. Tu tiens ton rôle d’éclaireur mieux que quiconque. Sans toi, je ne sais pas ce qu’il serait advenu de nous. Malheureusement, nous avons perdu…
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— Je sais Melkiar, coupa Brandille, dont le regard s’était perdu à l’horizon. J'ai vu son corps s’enflammer, virer écarlate, puis s’envoler au loin… C’était d’ailleurs très beau, vu d’en haut, sous la lueur de l’astre ambré. Vous ressembliez à une branche d’arbre brandillant au vent. Une branche dont la racine qui vous servait d’ancre aurait été le tronc. Une branche dont Eurixus aurait été la feuille rougie par l'automne tombant de son arbre… »
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À ces mots, les homins et les homines baissèrent la tête, se remémorant en souvenirs leur camarade disparu.

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« Mais ne laissez pas la tristesse vous traverser, amis et ami-euh ! Et pleurez uniquement si vous souhaitez arroser ce merveilleux botoga, à qui nous devons aussi beaucoup. Car comme vous le savez, les feuilles ne tombent pas de leur arbre sans raison : elles deviennent les nutriments qui nourrissent les jeunes pousses que nous croiserons sur notre chemin, un jour prochain. Oui, aujourd’hui, Eurixus est devenu l’humus de demain. Alors souriez, et écoutez ce refrain ! »
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Brandille tourna le dos à ses camarades, se mit à entonner un chant, puis sautilla plein ouest. En direction de là où, à l’horizon, Fort Kronk s’élevait tel un mirage sur les hautes  et obscures falaises de la Dorsale du Dragon.
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{{Couillard}}
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« Plus on s’approche du but, plus celui-ci semble lointain. »
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Bélénor avait beau essayer de rationaliser, en cet instant, c’était exactement ce qu’il pensait : jamais les kilomètres ne lui avaient semblé aussi longs. Après trois semaines de marche à travers la fournaise, la simple idée de pouvoir dormir dans un endroit sûr et frais paraissait irréelle. Un mirage parmi tant d’autres… Car le Désert de Feu, qu'ils avaient quitté deux heures à peine auparavant, n'offrait que de très rares moments d'accalmie. La journée, la chaleur émise par l’astre du jour venait s’ajouter à celle des profondeurs, rendant l’atmosphère irrespirable. La seule issue consistait alors à faire appel au pouvoir de la Sève pour limiter les dégâts, ou à fuir la surface bouillonnante en escaladant arbres et racines. Ces promontoires salvateurs étaient souvent peuplés d’animaux, eux aussi à la recherche de fraîcheur, de repos, et de nourriture. D’ailleurs, Bénélor ne s’était toujours pas remis du décès de Xacallon, qui occupé à chasser le rendor en solitaire sur une haute racine, s’était fait attaquer par une meute de varinx affamés. Ces félins trapus et tachetés, qui avaient la particularité de posséder une peau ignifuge, étaient les maîtres incontestés du désert. Pour ces prédateurs, capables de se mouvoir efficacement en pleine journée, les promontoires de fraicheurs aériens représentaient de véritables viviers, qu’ils scrutaient avec attention depuis le sol. La nuit, les températures diminuaient légèrement, permettant aux homins et aux animaux de circuler plus facilement. La troupe avait donc pris l’habitude de ne tracer la route qu'après le lever de l’astre ambré. Malheureusement, telle était aussi, évidemment, la stratégie de toutes les tribus homines osant affronter la fournaise. Ainsi, les attaques de Sauvages avaient presque toujours eu lieu au cœur de la nuit… Finalement, après un tel périple, il allait sans dire que le simple confort d’une forteresse aussi sûre que Fort Kronk tenait du fantasme.
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Bélénor, qui s’évertuait à marcher dans les traces de pas du soldat qui le devançait, soupira et releva la tête quelques instants. La troupe était en train d’emprunter un imposant pont racinaire large d’environ dix mètres, qui permettait de traverser une longue crevasse. La contourner aurait rallongé la fin du voyage de deux heures. Sur l’horizon, Fort Kronk semblait à la fois si proche et si lointain. Depuis longtemps, cette forteresse avait été désignée comme la dernière zone habitée du monde connu, là où les cartes devenaient muettes. Au-delà, il n’y avait rien de plus qu’une mer de dunes s’étendant à l’ouest, vers l’infini. Le fort avait été construit dans le coude brisé de la Dorsale du Dragon, à l’endroit où le plateau continental rejoignait la barrière montagneuse et les immenses falaises du sud, qui séparaient le Désert de la Grande Mer. La craquelure dans laquelle les Fyros s’étaient installés ressemblait beaucoup à celle qui accueillait la cité de Fyre. Mais à l’inverse de la capitale impériale, qui s’était étendue et consolidée décennie après décennie, la forteresse du bout du monde n’avait jamais été rien de plus qu’un fort, comme l’indiquait si bien son nom. Un fort qui, à peine bâti, devint objet de convoitise et sources de conflits. À ce jour, personne n’était capable de dire qui était réellement à l’origine de sa construction, tant différentes tribus avaient combattu pour le posséder. L’immense plaine accidentée située entre Fort Kronk et le Désert de Feu était d’ailleurs considérée comme le plus grand champ de bataille du pays. Jamais autant de Fyros n’étaient morts que face à Fort Kronk, en témoignait le nombre d’armes et de pièces d’armure de toutes époques que les vents violents réussissaient à draguer quotidiennement. La dernière bataille, datant d’à peine quelques mois, avait opposé la tribu des Sauvages à la coalition éphémère formée par les Larmes du Dragon. C’était à cette occasion que Tigriron, le père de Melkiar, le commandant de la coalition, réussit à reprendre la forteresse des mains de leurs ennemis de toujours. De quoi donc alimenter encore la plaine désertique en épées. En cet instant, juché sur l’imposant pont racinaire, Bélénor craignait qu’un nouveau torrent d’air venu des profondeurs soulève une tempête de sciure… et de lames. Mais il y avait pire que les lames, dans ce désert aux cent périls. Il y avait les gigantesques et magnifiques chardons violacés qui tapissaient la Dorsale au niveau de Fort Kronk, et dont les imposantes épines étaient régulièrement arrachées par la violence des vents. Le Fyros repensa à Eurixus, tué quelques heures plus tôt par l’une de ces épines, et secoua la tête.
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« Arrête de rêvasser, et regardes où tu marches Bélénor, lança Garius, toujours en queue de cortège.
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— Tu as raison, pardon, répondit son ami en baissant la tête. Je crois vraiment que je suis à bout, je suis incapable de rester concentré plus de trente secondes.
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— Ouais, je comprends. Moi aussi j’en peux plus. En fait, dans le Désert de Feu, on avait pas le choix. Le moindre écart pouvait nous tuer. Mais là, il fait beaucoup moins chaud. Alors on se dit que le pire est passé… Mais en vrai, tout ce putain de désert veut notre peau, feu ou pas. Alors faisons gaffe, ça peut aller très vite tu sais.
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— Oui, je sais. Merci Garius. D’après toi, combien d’heures de marche nous reste-t-il ?
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— Deux. Trois peut-être ?
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— Encore trois heures donc… Dis moi, Garius, puis-je te demander un service ? »
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L’imposant Fyros fronça les sourcils et Bélénor se retourna, le visage arborant d’un sourire espiègle.
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« Tu pourrais me porter ? »
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Garius éclata de rire. Au même moment, donnant raison au colosse, Bélénor trébucha et s’affala dans la sciure.
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« T’es con Bélénor. Ça t’apprendra tiens ! Je t’ai dit de regarder où tu marchais. »
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Le Fyros tendit une main massive à son ami, dont le visage exprimait désormais l'embarras. Si Bélénor la saisit, il ne réussit pas à se relever.
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« Attends Garius, je crois que je me suis pris la cheville dans une racine. Je… »
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Brusquement, sa poitrine se souleva. Et le temps se figea. Le souffle coupé et les pupilles dilatées, Bélénor regardait fixement l’étrange racine qui lui enserrait la cheville gauche. Une racine constituée de cinq doigts. Comprenant à qui appartenait cette main, le Fyros saisit instantanément l’ampleur de la menace : ils devaient à tout prix quitter le pont racinaire et rejoindre le plateau désertique. Bélénor eu à peine le temps de crier « Sauvages ! » qu’une hachette surgit de la sciure et lui trancha le pied. Au même moment, plusieurs de ses camarades tombèrent au sol. Et tels des Kamis, une trentaine d’êtres s’extirpèrent de la racine, comme s'ils n'avaient jusqu'alors fait qu’un avec l’écorce. Réagissant aussi vite qu’il put, Garius plongea son immense main dans la sciure et attrapa la gorge de l’homin embusqué dans sa cache. Sans autre forme de procès, il fit appel à sa force surhomine et l’envoya valdinguer cinq mètres plus loin. Le Sauvage rebondit violemment sur l’écorce, tenta en vain de s'assurer une prise, puis chuta dans l'abîme en hurlant. Jamais Bélénor n’avait été autant rassuré par la présence de Garius qu’en cet instant. Faisant fi de toute douleur, le Fyros attrapa son pied sectionné et le positionna sur son moignon. Si l’opération allait prendre quelques minutes, il savait être capable de ressouder son pied grâce aux pouvoirs de la Sève. Naturellement, Garius resta auprès de son ami. Dégainant sa gigantesque hache, il menaça verbalement les Sauvages qui tentaient de l’approcher. D’un coup d’œil rapide Bélénor fit un état des lieux de l’escarmouche : si Melkiar, Varran et quelques soldats s’étaient rués sur les Sauvages, et avaient déjà réussi à en abattre plusieurs, Xynala essayait pour sa part de les tenir éloignés des blessés, désormais entre les mains de Brandille. Quant à Tisse Apoan, elle scrutait l’horizon avec son fusil. Rapidement, le nombre de Sauvages diminua, et cinq des leurs se retrouvèrent finalement coincés entre Garius d’un côté, et le reste des soldats de l’autre. Malheureusement, l’embuscade ne semblait constituer qu’une partie du plan de l’ennemi.
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« Homins ! À l’ouest ! » hurla Tisse, qui surveillait les alentours depuis la zone sécurisée par Xynala. Et en effet, à quelques dizaines de mètres de la mêlée, à l’endroit où le pont racinaire permettait de rejoindre la plaine désertique menant à Fort Kronk, un peloton d’homins était en train de se former. Si Bélénor espéra qu’ils soient des renforts venus de Fort Kronk, il déchanta instantanément en reconnaissant le drapeau de la tribu ennemie. Désormais, les Sauvages survivants n’étaient plus les seuls à être encerclés. Malgré cet état de fait, Melkiar garda son sang froid et encouragea ses camarades.
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« Soldats, ne faiblissez pas ! Nous sommes mieux équipés et entraînés qu’eux. Aussi nombreux soient-ils, tant que vous suivrez ce que nous avons appris, rien ne nous arrivera ! »
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Bélénor, dont le pied gauche avait finalement repris vie, se plaça derrière Garius. Aussi périlleuse que fût la situation, il savait que Melkiar voyait juste. Il leur suffisait de rester concentrés et d’appliquer tout ce qu’ils avaient vu durant les mises en situation passées. Après tout, ce n’était pas la première fois qu’ils affrontaient des Sauvages. Et si ces homins étaient définitivement les meilleurs quand il s’agissait de tendre des pièges ou de survivre dans des environnements extrêmes, ils restaient bien moins impressionnants en combat rangé. Le Fyros soupira et posa ses mains gantées sur l’immense dos de Garius. Qu’il soit l’auteur d’une histoire de guerre de religion ne signifiait pas qu’il cautionnait ou appréciait les luttes armées. D’ailleurs, il restait très critique vis-à-vis de l'Armée impériale. S’il s’était inscrit en tant que réserviste, c’était simplement pour voyager avec ses amis, découvrir le pays, vivre des moments uniques et ressentir de nouvelles émotions. Pour ennuyer ses parents, aussi. Car avant cette expédition, tout son quotidien se résumait à Fyre. Et pas n’importe quelle Fyre. La Fyre riche, confortable et culturelle, accessible aux seuls bourgeois dont il était. Alors que ces cinq dernières années, ses amis avaient progressivement commencé à s’émanciper de la capitale, lui s’était enlisé dans une routine mondaine. Une vie qu’il chérissait, pour son confort et sa richesse culturelle, et qu’il méprisait tout autant, tant elle lui rappelait ce qu’il détestait chez ses parents… Des parents auxquels il avait l’impression de ressembler, bien malgré lui. Car à vingt-et-un ans, Bélénor n’aimait pas l’homin qu’il était devenu. C’est sous l’impulsion de Brandille, mais surtout de Garius, qu’il avait finalement décidé de sortir de sa zone de confort et d’accompagner Melkiar jusqu’au bout du monde. Pourtant, aujourd’hui, et malgré tout ce qu’il avait appris durant son voyage, il regrettait d’être parti. Jamais. Jamais il ne s’était habitué à la mort. Jamais il ne s’était attendu à en rêver la nuit. Définitivement, sa place était derrière un bureau, la plume à la main, et non pas sur un champ de bataille.
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Croisant par dessous l’aisselle de Garius le regard désorienté d’un Sauvage au teint maladif, Bélénor se rappela des émotions qu’ils l’avaient traversé les quelques fois où il avait lui-même frôlé la mort, les semaines passées. Et alors qu’il s’imaginait réussir à demander leur reddition, le peloton de Sauvages, juché au bord de la crevasse, se mit à entrechoquer ses armes en rythme. Au même moment, l’un d’entre eux se mit à pousser des cris rauques, toujours en cadence. Ses cris furent bientôt repris par tous ses compagnons. C’était la première fois que Bélénor assistait à cette pratique tribale. Interloqué, il échangea un regard avec Melkiar, qui semblait partager sa confusion. Et puis soudainement, le rythme s’accéléra, et les Sauvages positionnés au centre de la racine se collèrent les uns aux autres pour former un groupe compact, comme s’ils cherchaient à protéger quelque chose. Croisant à nouveau le regard du Sauvage souffreteux, Bélénor déglutit. Une profonde détermination y était désormais inscrite. Et sans qu’il ne sache pourquoi, une vision d’horreur le traversa. Commandé par son instinct, le Fyros hurla de tout son être :
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« Fuyez, ils vont se faire sauter ! »
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Bélénor, qui s’apprêtait à s’élancer en arrière, eut tout juste le temps de lancer un ultime regard à Melkiar. Pour la première, et peut-être pour la dernière fois de sa vie, il lut de  la terreur dans les yeux de son ami. L’explosion fut terrible. Sans qu’il ne puisse rien faire, l’onde de choc le projeta contre la paroi de la crevasse, qu’il percuta de plein fouet. Inconscient, il chuta alors dans les Profondeurs d’Atys, dans une pluie de feu, de bois brisé et de morceaux de chair calcinée.}}
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Версия 15:02, 30 января 2022

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