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[[file:Survivre seul.png|left|400px|alt=Survivre seul à la pousse du masque était l’un de ces préceptes|Survivre seul à la pousse du masque était l’un de ces préceptes]]
 
[[file:Survivre seul.png|left|400px|alt=Survivre seul à la pousse du masque était l’un de ces préceptes|Survivre seul à la pousse du masque était l’un de ces préceptes]]
{{Paragraphes FR|Autour de lui, toute sa tribu commençait à arriver des hauteurs du village, descendant les escaliers et les échelles dans un silence religieux. Ils se placèrent progressivement en demi-cercle sur la moitié de la place opposée à celle où Pü était agenouillé. La dernière à arriver fut Grand-Mère Bä-Bä, aidée par Looï. La vieille dame était seule autorisée à rejoindre le demi-cercle où se trouvait Pü. Se plaçant entre le petit être et le grand totem, elle leva une main flétrie. Celle-ci contenait son fameux jeu de dés, dont elle se servait régulièrement pour catalyser son pouvoir et prédire avec précision l'avenir de la tribu. À son geste, les quelques lueurs encore présentes au niveau des hauteurs du village fusèrent dans sa paume, devenue seule source de lumière. Une petite boule phosphorescente y flottait dorénavant. Les Zoraïs, bien qu’habitués, ne se lassaient jamais de cet ensorcelant spectacle. Quelques longues secondes passèrent, silencieusement, puis la sorcière souffla sur le petit astre, qui s’illumina de rouge et s’envola jusqu’au totem. Au contact de la boule lumineuse, l’édifice s’embrasa instantanément et les orifices vides des masques s’illuminèrent. Grand-Mère Bä-Bä entama alors le rituel que chacun des présents avait vécu durant son enfance. Elle psalmodia de sombres incantations durant les heures qui suivirent en remuant ses mains d’une manière étrange, tandis que ses enfants fredonnaient en chœur des chants liturgiques. Au plus profond des ténèbres, quelque part dans l’immense souche, les ombres dansaient en cadence. Plus loin dans la jungle, émanant du gigantesque arbre-ciel mort, on pouvait apercevoir une lueur rougeâtre illuminant le ciel, et deviner de sinistres murmures dans la plainte du vent. La Souche Maudite, définitivement, portait bien son nom pour les ignorants. Le rituel hypnotique semblait ne devoir jamais s’arrêter, et aucun des Zoraïs ne se serait risqué à l’interrompre. Infatigables, ils fixaient le jeune enfant, qui, toujours en transe, brisait par moments la monotonie de la cérémonie de ses cris étouffés. Ils crurent le perdre définitivement une heure après le début du rituel, lorsque, à peine conscient, Pü arracha la dague du sol et fendit son masque au niveau de chaque œil. Mais le cadet de Sang et de Looï Fu-Tao tint bon. Tous, ici présents dans la fosse, savaient ce qu’il était en train d’endurer. Eux aussi l’avaient vécu. Tous avaient été contraints de plonger dans l’Abîme. Et tous en étaient remontés grandis.
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{{Paragraphes FR|Autour de lui, toute sa tribu commençait à arriver des hauteurs du village, descendant les escaliers et les échelles dans un silence religieux. Ils se placèrent progressivement en demi-cercle sur la moitié de la place opposée à celle où Pü était agenouillé. La dernière à arriver fut Grand-Mère Bä-Bä, aidée par Looï. La vieille dame était seule autorisée à rejoindre le demi-cercle où se trouvait Pü. Se plaçant entre le petit être et le grand totem, elle leva une main flétrie. Celle-ci contenait son fameux jeu de dés orangés, dont elle se servait régulièrement pour catalyser son pouvoir et prédire avec précision l'avenir de la tribu. À son geste, les quelques lueurs encore présentes au niveau des hauteurs du village fusèrent dans sa paume, devenue seule source de lumière. Une petite boule phosphorescente y flottait dorénavant. Les Zoraïs, bien qu’habitués, ne se lassaient jamais de cet ensorcelant spectacle. Quelques longues secondes passèrent, silencieusement, puis la sorcière souffla sur le petit astre, qui s’illumina de rouge et s’envola jusqu’au totem. Au contact de la boule lumineuse, l’édifice s’embrasa instantanément et les orifices vides des masques s’illuminèrent. Grand-Mère Bä-Bä entama alors le rituel que chacun des présents avait vécu durant son enfance. Elle psalmodia de sombres incantations durant les heures qui suivirent en remuant ses mains d’une manière étrange, tandis que ses enfants fredonnaient en chœur des chants liturgiques. Au plus profond des ténèbres, quelque part dans l’immense souche, les ombres dansaient en cadence. Plus loin dans la jungle, émanant du gigantesque arbre-ciel mort, on pouvait apercevoir une lueur rougeâtre illuminant le ciel, et deviner de sinistres murmures dans la plainte du vent. La Souche Maudite, définitivement, portait bien son nom pour les ignorants. Le rituel hypnotique semblait ne devoir jamais s’arrêter, et aucun des Zoraïs ne se serait risqué à l’interrompre. Infatigables, ils fixaient le jeune enfant, qui, toujours en transe, brisait par moments la monotonie de la cérémonie de ses cris étouffés. Ils crurent le perdre définitivement une heure après le début du rituel, lorsque, à peine conscient, Pü arracha la dague du sol et fendit son masque au niveau de chaque œil. Mais le cadet de Sang et de Looï Fu-Tao tint bon. Tous, ici présents dans la fosse, savaient ce qu’il était en train d’endurer. Eux aussi l’avaient vécu. Tous avaient été contraints de plonger dans l’Abîme. Et tous en étaient remontés grandis.
  
 
Un hurlant abîme crépusculaire étincelait devant les yeux de Pü. À nouveau, le Kami Noir sortit du néant. De ses grands yeux blancs, il fixa l’enfant, puis plongea. Pü n'eut d’autre choix que de le suivre, aspiré par une force qui le dépassait. En pleine prise de vitesse dans le vide bouillonnant, un développement et une accélération du vague système tonal annonçaient un paroxysme à venir, indescriptible et orgasmique. La vitesse devint rapidement vertigineuse. Incapable de respirer, tant la force de poussée était puissante, Pü sentit l’air écorcher sa peau et s’infiltrer entre ses os. La douleur était indicible. Il était en train de se liquéfier, broyé par l’augmentation sans fin de la pression. Progressivement, il perdit toute consistance. C’est alors que, réduit à l’état de simple soupe primordiale, il la sentit finalement en lui. L’explosion monstrueuse des chants liturgiques de ses ancêtres, qui concentraient dans leur sonorité immaculée toute l’effervescence primitive du Grand Géniteur, celle qui couve derrière chaque fragment de matière. Cette résonance qui jaillit en réverbérations rythmiques et pénètre atténuée dans tous les niveaux d’être, et porte partout sur Atys une terrible signification. Ma-Duk lui parlait, et le Kami l’emmenait le retrouver dans le cœur étincelant du monde. Mais tout cela disparut en un instant.
 
Un hurlant abîme crépusculaire étincelait devant les yeux de Pü. À nouveau, le Kami Noir sortit du néant. De ses grands yeux blancs, il fixa l’enfant, puis plongea. Pü n'eut d’autre choix que de le suivre, aspiré par une force qui le dépassait. En pleine prise de vitesse dans le vide bouillonnant, un développement et une accélération du vague système tonal annonçaient un paroxysme à venir, indescriptible et orgasmique. La vitesse devint rapidement vertigineuse. Incapable de respirer, tant la force de poussée était puissante, Pü sentit l’air écorcher sa peau et s’infiltrer entre ses os. La douleur était indicible. Il était en train de se liquéfier, broyé par l’augmentation sans fin de la pression. Progressivement, il perdit toute consistance. C’est alors que, réduit à l’état de simple soupe primordiale, il la sentit finalement en lui. L’explosion monstrueuse des chants liturgiques de ses ancêtres, qui concentraient dans leur sonorité immaculée toute l’effervescence primitive du Grand Géniteur, celle qui couve derrière chaque fragment de matière. Cette résonance qui jaillit en réverbérations rythmiques et pénètre atténuée dans tous les niveaux d’être, et porte partout sur Atys une terrible signification. Ma-Duk lui parlait, et le Kami l’emmenait le retrouver dans le cœur étincelant du monde. Mais tout cela disparut en un instant.

Версия 12:22, 17 февраля 2022

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