II.V — различия между версиями

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<!--{{Paragraphes FR|-->Après avoir été déposé au sol par le gigantesque oiseau noir, quelques dizaines de kilomètres au sud de Zu-Galam, la première impulsion de Pü fut de retourner là-bas. Autant pour tuer le kitin bleu-orangé que pour défier l'autorité du Kami Noir. Il n'eut cependant pas besoin d'entendre la Voix pour comprendre l'absurdité de son désir. La créature divine le surveillait, où qu'il se trouvât. Si elle avait décidé qu’atteindre Zu-Galam était trop dangereux, alors il devait l’accepter. Ayant passé trois ans à suivre ses enseignements, Pu savait qu’elle n'était pas une entité ouverte au dialogue. Jusqu’alors, elle avait été uniquement capable de distribuer des directives via la Voix ou de répondre à des interrogations très ciblées. Tenter de retourner à Zu-Galam, c'était se condamner à répéter indéfiniment son échec et souligner toujours plus sa servitude. À nouveau seul, il entreprit donc de voyager vers le sud-est, en direction de Taï-Toon, la dernière grande zone urbaine du pays qu'il n'avait pas visitée. L’expédition lui donna l’occasion de s’excuser auprès de la Voix, qu'il avait injustement blâmée lors de son enlèvement par l'oiseau noir. Il reconnut aussi que tenter de combattre seul l'armée de kitins ou de s'infiltrer dans Zu-Galam était une opération extrêmement risquée, qui lui aurait vraisemblablement été fatale. Pour se rendre à Taï-Toon, Pü suivit le tracé de la Grande Muraille qui séparait le Lac aux Temples des Marais Pourpres, et qui jouait en cet endroit un rôle essentiel contre l'avancée de la Goo émanant des jungles méridionales, encore largement inexplorées.
 
<!--{{Paragraphes FR|-->Après avoir été déposé au sol par le gigantesque oiseau noir, quelques dizaines de kilomètres au sud de Zu-Galam, la première impulsion de Pü fut de retourner là-bas. Autant pour tuer le kitin bleu-orangé que pour défier l'autorité du Kami Noir. Il n'eut cependant pas besoin d'entendre la Voix pour comprendre l'absurdité de son désir. La créature divine le surveillait, où qu'il se trouvât. Si elle avait décidé qu’atteindre Zu-Galam était trop dangereux, alors il devait l’accepter. Ayant passé trois ans à suivre ses enseignements, Pu savait qu’elle n'était pas une entité ouverte au dialogue. Jusqu’alors, elle avait été uniquement capable de distribuer des directives via la Voix ou de répondre à des interrogations très ciblées. Tenter de retourner à Zu-Galam, c'était se condamner à répéter indéfiniment son échec et souligner toujours plus sa servitude. À nouveau seul, il entreprit donc de voyager vers le sud-est, en direction de Taï-Toon, la dernière grande zone urbaine du pays qu'il n'avait pas visitée. L’expédition lui donna l’occasion de s’excuser auprès de la Voix, qu'il avait injustement blâmée lors de son enlèvement par l'oiseau noir. Il reconnut aussi que tenter de combattre seul l'armée de kitins ou de s'infiltrer dans Zu-Galam était une opération extrêmement risquée, qui lui aurait vraisemblablement été fatale. Pour se rendre à Taï-Toon, Pü suivit le tracé de la Grande Muraille qui séparait le Lac aux Temples des Marais Pourpres, et qui jouait en cet endroit un rôle essentiel contre l'avancée de la Goo émanant des jungles méridionales, encore largement inexplorées.
  
La Goo était une substance mystérieuse, souvent perçue comme une pollution ou une maladie, qui se manifestait sous la forme d'une matière gélatineuse mauve, brillante et translucide. Sa croissance incessante et sa capacité à infecter et détruire toute forme de matière organique conduisaient certains érudits à l’envisager comme une entité vivante dotée d'un appétit insatiable. En tant que gardiens de la nature, les Kamis percevaient la Goo comme une malédiction terrible. D'autant plus que, parmi toutes les créatures d'Atys, ils étaient les plus vulnérables à ses effets néfastes. Par conséquent, ils se reposaient énormément sur l'aide des homins pour en limiter la propagation. Certains historiens soutenaient d’ailleurs que la préférence des Kamis pour les Zoraïs, illustrée par leurs masques, s'expliquait par l'origine de ce peuple, natif des jungles d'Atys, les plaçant ainsi en première ligne pour combattre le fléau. Par contraste, les Agents de la Karavan et leurs fidèles Matis, reconnus pour leur expertise en alchimie et poisons, s'intéressaient de près à cette matière énigmatique pour ses propriétés potentiellement exploitables… notamment contre les Kamis. C’est en tout cas ce que la mère de Pü lui avait appris. Durant son enfance, son père traquait sans relâche les agents de la Karavan opérant dans les Marais Pourpres. Il n’avait renoncé à cette quête dangereuse que lorsque son épouse, après une capture où il avait frôlé la mort, l'avait convaincu des risques inutiles qu'il encourait. Il aurait été tragique de perdre la vie avant de passer le flambeau à ses fils et avant le commencement de la Guerre Sacrée, événement qui marquerait le crépuscule inéluctable de la Karavan.
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La Goo était une substance mystérieuse, souvent perçue comme une pollution ou une maladie, qui se manifestait sous la forme d'une matière gélatineuse mauve, brillante et translucide. Sa croissance incessante et sa capacité à infecter et détruire toute forme de matière organique conduisaient certains érudits à l’envisager comme une entité vivante dotée d'un appétit insatiable. En tant que gardiens de la nature, les Kamis percevaient la Goo comme une malédiction terrible. D'autant plus que, parmi toutes les créatures d'Atys, ils étaient les plus vulnérables à ses effets néfastes. Par conséquent, ils se reposaient énormément sur l'aide des homins pour en limiter la propagation. Certains historiens soutenaient d’ailleurs que la préférence des Kamis pour les Zoraïs, illustrée par leurs masques, s'expliquait par l'origine de ce peuple, natif des jungles d'Atys, donc en première ligne face au fléau. Par contraste, les Agents de la Karavan et leurs fidèles Matis, reconnus pour leur expertise en alchimie et poisons, s'intéressaient de près à cette matière énigmatique pour ses propriétés potentiellement exploitables… notamment contre les Kamis. C’est en tout cas ce que la mère de Pü lui avait appris. Durant son enfance, son père traquait sans relâche les agents de la Karavan opérant dans les Marais Pourpres. Il n’avait renoncé à cette quête dangereuse que lorsque son épouse, après une capture où il avait frôlé la mort, l'avait convaincu des risques inutiles qu'il encourait. Il aurait été tragique de perdre la vie avant de passer le flambeau à ses fils et avant le commencement de la Guerre Sacrée, événement qui marquerait le crépuscule inéluctable de la Karavan.
  
 
En longeant la rive sud du Lac aux Temples, Pü comprit que quelques groupes de survivants s'étaient établies sur les îles éparpillées à travers l'immense étendue d'eau. Les kitins, et notamment les fameuses patrouilles d’insectes verts et blancs à l’abdomen dardé, étaient de piètres nageurs, et ne représentaient pas une menace directe pour les insulaires, qui n'avaient à gérer que les attaques des libellules cracheuses de feu, déjà bien assez périlleuses. Cependant, Pü savait que la sécurité apparente était trompeuse. Il avait déjà vu des kitins volants transporter des kitins marcheurs vers des lieux autrement inaccessibles, et savait donc que, à défaut de précautions adéquates, les îles pourraient être aisément envahies. C'est le message qu'il tenta de transmettre après avoir trouvé une embarcation pour rejoindre les îles les plus proches de la rive. Les insulaires lui répondirent que les incursions de kitins étaient rares et que sa présence n’était pas la bienvenue, refusant toute discussion supplémentaire. Cependant, contre toute attente, une survivante se montra plus ouverte et, après une brève discussion, conseilla à Pü de ne pas se rendre à Taï-Toon : elle prétendait qu'un puissant sorcier originaire d’une île voisine avait menacé quiconque tenterait de s'y aventurer. Toutefois, à l'instar des autres survivants, sa présence l’inquiéta : son masque noir était systématiquement considéré, dans le meilleur des cas, comme un signe de mauvais augure.
 
En longeant la rive sud du Lac aux Temples, Pü comprit que quelques groupes de survivants s'étaient établies sur les îles éparpillées à travers l'immense étendue d'eau. Les kitins, et notamment les fameuses patrouilles d’insectes verts et blancs à l’abdomen dardé, étaient de piètres nageurs, et ne représentaient pas une menace directe pour les insulaires, qui n'avaient à gérer que les attaques des libellules cracheuses de feu, déjà bien assez périlleuses. Cependant, Pü savait que la sécurité apparente était trompeuse. Il avait déjà vu des kitins volants transporter des kitins marcheurs vers des lieux autrement inaccessibles, et savait donc que, à défaut de précautions adéquates, les îles pourraient être aisément envahies. C'est le message qu'il tenta de transmettre après avoir trouvé une embarcation pour rejoindre les îles les plus proches de la rive. Les insulaires lui répondirent que les incursions de kitins étaient rares et que sa présence n’était pas la bienvenue, refusant toute discussion supplémentaire. Cependant, contre toute attente, une survivante se montra plus ouverte et, après une brève discussion, conseilla à Pü de ne pas se rendre à Taï-Toon : elle prétendait qu'un puissant sorcier originaire d’une île voisine avait menacé quiconque tenterait de s'y aventurer. Toutefois, à l'instar des autres survivants, sa présence l’inquiéta : son masque noir était systématiquement considéré, dans le meilleur des cas, comme un signe de mauvais augure.

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II·V - Les Fortunés et les Appelés

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An 2484 de Jena

Après avoir été déposé au sol par le gigantesque oiseau noir, quelques dizaines de kilomètres au sud de Zu-Galam, la première impulsion de Pü fut de retourner là-bas. Autant pour tuer le kitin bleu-orangé que pour défier l'autorité du Kami Noir. Il n'eut cependant pas besoin d'entendre la Voix pour comprendre l'absurdité de son désir. La créature divine le surveillait, où qu'il se trouvât. Si elle avait décidé qu’atteindre Zu-Galam était trop dangereux, alors il devait l’accepter. Ayant passé trois ans à suivre ses enseignements, Pu savait qu’elle n'était pas une entité ouverte au dialogue. Jusqu’alors, elle avait été uniquement capable de distribuer des directives via la Voix ou de répondre à des interrogations très ciblées. Tenter de retourner à Zu-Galam, c'était se condamner à répéter indéfiniment son échec et souligner toujours plus sa servitude. À nouveau seul, il entreprit donc de voyager vers le sud-est, en direction de Taï-Toon, la dernière grande zone urbaine du pays qu'il n'avait pas visitée. L’expédition lui donna l’occasion de s’excuser auprès de la Voix, qu'il avait injustement blâmée lors de son enlèvement par l'oiseau noir. Il reconnut aussi que tenter de combattre seul l'armée de kitins ou de s'infiltrer dans Zu-Galam était une opération extrêmement risquée, qui lui aurait vraisemblablement été fatale. Pour se rendre à Taï-Toon, Pü suivit le tracé de la Grande Muraille qui séparait le Lac aux Temples des Marais Pourpres, et qui jouait en cet endroit un rôle essentiel contre l'avancée de la Goo émanant des jungles méridionales, encore largement inexplorées.

La Goo était une substance mystérieuse, souvent perçue comme une pollution ou une maladie, qui se manifestait sous la forme d'une matière gélatineuse mauve, brillante et translucide. Sa croissance incessante et sa capacité à infecter et détruire toute forme de matière organique conduisaient certains érudits à l’envisager comme une entité vivante dotée d'un appétit insatiable. En tant que gardiens de la nature, les Kamis percevaient la Goo comme une malédiction terrible. D'autant plus que, parmi toutes les créatures d'Atys, ils étaient les plus vulnérables à ses effets néfastes. Par conséquent, ils se reposaient énormément sur l'aide des homins pour en limiter la propagation. Certains historiens soutenaient d’ailleurs que la préférence des Kamis pour les Zoraïs, illustrée par leurs masques, s'expliquait par l'origine de ce peuple, natif des jungles d'Atys, donc en première ligne face au fléau. Par contraste, les Agents de la Karavan et leurs fidèles Matis, reconnus pour leur expertise en alchimie et poisons, s'intéressaient de près à cette matière énigmatique pour ses propriétés potentiellement exploitables… notamment contre les Kamis. C’est en tout cas ce que la mère de Pü lui avait appris. Durant son enfance, son père traquait sans relâche les agents de la Karavan opérant dans les Marais Pourpres. Il n’avait renoncé à cette quête dangereuse que lorsque son épouse, après une capture où il avait frôlé la mort, l'avait convaincu des risques inutiles qu'il encourait. Il aurait été tragique de perdre la vie avant de passer le flambeau à ses fils et avant le commencement de la Guerre Sacrée, événement qui marquerait le crépuscule inéluctable de la Karavan.

En longeant la rive sud du Lac aux Temples, Pü comprit que quelques groupes de survivants s'étaient établies sur les îles éparpillées à travers l'immense étendue d'eau. Les kitins, et notamment les fameuses patrouilles d’insectes verts et blancs à l’abdomen dardé, étaient de piètres nageurs, et ne représentaient pas une menace directe pour les insulaires, qui n'avaient à gérer que les attaques des libellules cracheuses de feu, déjà bien assez périlleuses. Cependant, Pü savait que la sécurité apparente était trompeuse. Il avait déjà vu des kitins volants transporter des kitins marcheurs vers des lieux autrement inaccessibles, et savait donc que, à défaut de précautions adéquates, les îles pourraient être aisément envahies. C'est le message qu'il tenta de transmettre après avoir trouvé une embarcation pour rejoindre les îles les plus proches de la rive. Les insulaires lui répondirent que les incursions de kitins étaient rares et que sa présence n’était pas la bienvenue, refusant toute discussion supplémentaire. Cependant, contre toute attente, une survivante se montra plus ouverte et, après une brève discussion, conseilla à Pü de ne pas se rendre à Taï-Toon : elle prétendait qu'un puissant sorcier originaire d’une île voisine avait menacé quiconque tenterait de s'y aventurer. Toutefois, à l'instar des autres survivants, sa présence l’inquiéta : son masque noir était systématiquement considéré, dans le meilleur des cas, comme un signe de mauvais augure.

Malgré la déconvenue d’un énième refus, qui écartait davantage son aspiration à devenir un sauveur, Pü dut bien admettre que cette portion du Pays Zoraï semblait effectivement moins infestée de kitins que les autres régions qu'il avait traversées. En retournant sur la rive, puis en escaladant la Grande Muraille pour observer les jungles méridionales, transformées en marécages informes par la Goo qui décomposait la flore et la faune avec voracité, il en comprit la raison : les kitins eux-mêmes devaient craindre la substance destructrice. Il remarqua aussi avec surprise que, trois ans après la chute de la Théocratie et de la civilisation zoraï, la muraille remplissait toujours son rôle de barrière magnétique, empêchant la Goo de progresser plus au nord. Mais cela n’était que temporaire. Un jour ou l'autre, les ambres utilisées comme répulseurs perdraient leurs propriétés électrostatiques. Sauf à les remplacer, cela condamnerait ce qui était autrefois le cœur battant du Pays Zoraï, à une inévitable contamination par la Goo. Ne resterait alors que le recours au feu pour tenter de stopper sa progression. Et non pas un feu magique produit par un homin, dont la capacité de combustion aurait été finement contrôlée, mais le feu sauvage et dévastateur, fruit d'une réaction en chaîne d'incendies incontrôlables, pouvant atteindre des températures inimaginables.

Finalement, grâce à la présence réduite des kitins à la bordure des Marais Pourpres, Pü atteignit Taï-Toon plus rapidement qu’il lui avait fallu de temps pour rejoindre Zu-Galam depuis le Jardin Éternel. De jour, cette cité qu’il avait déjà approché dans sa jeunesse, lui apparut comme une version réduite de Zoran : elle se dressait au centre d’une enceinte circulaire, édifiée le long d'une étendue d'eau, et s’articulait autour d'un bâtiment principal. À Zoran, bâtie sur les rives du Lac aux Temples, c’était le Zo’laï-gong, le temple kamiste le plus important du pays, qui régnait sur le cœur de la cité. À Taï-Toon, bâtie au bord du Lac de la Connaissance, le Zo’sok-gong, qui abritait la Grande Bibliothèque Zoraï, tenait cette position centrale. Originellement située à Zoran, la bibliothèque avait été transférée à Taï-Toon après que le siège et les bombardements des armées Fyros en 2328 avaient anéanti ce réservoir de savoir.

N’ayant pas oublié l’avertissement de la Zoraï insulaire, Pü pénétra discrètement à l'intérieur de Taï-Toon. S’il existait réellement, le “puissant sorcier” dont elle lui avait parlé était peut-être dangereux. À l'instar de Zoran, la cité avait été la cible de bombardements par la Karavan trois ans plus tôt, dans le but d'éliminer l’essaim de kitins. Les dégâts étaient bien visibles : d’anciens restes de carcasses jonchaient les cratères disséminés à travers le périmètre et des brèches marquaient le mur circulaire de la cité. Au centre de celle-ci, le Zo’sok-gong, plus petit que le Zo’lai-Gong de Zoran, mais similaire de par sa structure pyramidale à base carrée, était également partiellement détruit. Une fois à l'intérieur de l'enceinte, Pü remarqua un Zoraï en faction, nonchalamment appuyé contre la balustrade d'une tour encore intacte. Ce gardien n’était pas très attentif, vu la facilité avec laquelle Pü avait échappé à sa vigilance. Ne désirant pas créer un incident diplomatique, il grimpa néanmoins l'échelle de la tour afin de se présenter à lui. Remarquant finalement sa présence, le garde, plus surpris qu’autre chose, dégaina une épée.

« Qui êtes-vous ? Vous n’avez rien à faire ici ! Taï-Toon est interdite d’accès !

– Je ne me présente pas à vous en tant qu’ennemi, répondit calmement Pü, les mains levées en signe de paix. J’ai justement entendu dire qu’un puissant sorcier avait interdit l’entrée de Taï-Toon. Vous le connaissez ? J’aimerai le rencontrer.

– C’est impossible ! Partez immédiatement ! menaça l’homin en avançant d’un pas et en levant son arme. »

Pü soupira et l’examina quelques instants. Corps athlétique, bonne tenue d’épée, mais un bras qui bouillonnait à peine de Sève, insuffisamment pour décupler significativement la force de ses coups. Manifestement, ce n'était pas le sorcier dont on lui avait parlé, même si sa réaction confirma l'existence de ce dernier. Lui était sans doute un simple soldat à son service, probablement rescapé de la garde régulière de la Théocratie ou d'une tribu quelconque. Son manque de maîtrise dans l'art de manipuler la Sève le rendait peu menaçant.

« Je ne souhaite faire de mal à personne. Ni à lui, ni à vous, dit Pü en avançant calmement, les mains toujours levées. Dites-moi simplement où il se trouve. »

La posture de Pü et la confiance qui s’en dégageait fit reculer le Zoraï, qui lança un regard furtif vers le centre de la cité, trahissant sans le vouloir l'emplacement de son maître. Réalisant son erreur, il laissa échapper une injure avant de se jeter sur l'intrus. Pü esquiva aisément l'attaque désespérée et, d'un geste fluide, asséna un uppercut précis contre son menton. Si un soldat de premier rang aurait réussi à utiliser les pouvoirs de la Sève pour encaisser le choc, le garde novice s’effondra instantanément sur le sol. Sans perdre un instant, Pü s'empressa de le ligoter et de le bâillonner. Vu le coup qu’il venait de recevoir, le garde mettrait un certain temps à reprendre conscience et, même s'il parvenait à se réveiller rapidement, cela lui prendrait encore un moment pour se libérer. Cela offrait amplement à Pü le temps de s'infiltrer dans la pyramide sans déclencher l’alerte générale. Alors qu’il s'apprêtait à descendre de la tour, quelque chose attira cependant son attention. L'épée du garde. De très bonne facture, elle serait un remplacement parfait pour la sienne, perdue quelques semaines plus tôt lors de son enlèvement par l'oiseau noir. Sans hésiter, il la saisit avant de s'éclipser discrètement.

Pü n'eut aucun mal à s'infiltrer dans le Zo’sok-gong, évitant sans difficulté et assommant sans bruit les quelques gardes qu’il croisa sur son chemin. Bien qu'il éprouvât initialement quelques difficultés à s'orienter dans le dédale de couloirs sombres et étroits de la pyramide, il prit néanmoins un certain plaisir à se perdre dans ce labyrinthe, qui lui évoquait par moment les entrelacs de racines creuses de la souche familiale. Une fois à l'intérieur de l'immense bibliothèque, Pü progressa prudemment le long des vastes allées, observant attentivement les signes d'une présence homine récente. Certaines étagères avaient été vidées de leur contenu, suggérant un vol. Par endroits, le sol était jonché de cubes d'ambre et de parchemins éparpillés, tandis que plusieurs étagères étaient renversées, contribuant à l'aspect chaotique des lieux. Le plafond et les murs intacts indiquaient que ces dégâts n'étaient pas le résultat des bombardements de la Karavan, mais plutôt le produit de scènes de bataille ou de vandalisme. Tout au long de son avancée, Pu découvrit d’ailleurs les carapaces desséchées de petits kitins ainsi que les squelettes décharnés de quelques Zoraïs, témoins silencieux des événements violents qui avaient secoué autrefois ce lieu.

Enfin arrivé devant la section la plus privée de la bibliothèque, où autrefois seuls les plus éminents sages de la Théocratie étaient admis, Pü entendit une voix. Il entra discrètement dans la pièce, à peine éclairée par quelques lanternes à lucioles, puis se dissimula derrière une étagère. Observant la scène, Il lui fallut utiliser son nouveau sens pour réaliser que ce qu'il observait n'était pas un animal imposant, méconnaissable dans la pénombre, mais bien un Zoraï. Si Pü avoisinait les deux mètres, une taille relativement commune pour les Zoraïs nés mâles, l’homin qu’il observait devait mesurer dans les deux mètres trente, une taille anormale. Ou plutôt deux mètres cinquante. Il était en réalité bossu, et peinait à se tenir parfaitement droit. Sa taille était tout simplement démesurée. Et pourtant, c’était là l’élément le moins étrange de son corps massif, irrégulièrement gonflé et boursouflé. Seul son masque parfaitement blanc et dénué de cornes, offrait une touche d'harmonie à son apparence autrement difforme.

« Charge ceux-ci. »

La voix provenait non pas du bossu, mais d’un Zoraï accroupi, qui, en se redressant, saisit un des cubes d'ambre amoncelés en tas à ses pieds. Mesurant environ deux mètres dix et vêtu d'une belle robe mauve, quoique usée, l’homin dévoila des bras étonnamment minces, voire maigres. Cependant, ce qui captiva vraiment l'attention de Pü fut son masque. Parfaitement symétrique et orné d’idéogrammes verts, il était couronné d'une série de longues cornes qui se dressaient des tempes au front, conférant à l'ensemble une allure quasi royale. Ce masque imposant, qui paraissait presque disproportionné par rapport à la maigreur de son porteur, évoqua à Pü celui de Grand-Mère Bä-Bä, bien que l'individu n’eût qu’une trentaine d'années. S'il était communément admis que le masque révélait l'âme de son porteur et son lien intime avec les Kamis, certains estimaient aussi que sa taille pouvait indiquer son potentiel. Pü considéra son propre masque, plus imposant que la moyenne, et réalisa alors qu'il avait trouvé le fameux sorcier qu’il cherchait. Celui-ci fixait en silence le cube d'ambre qu'il tenait à deux mains, tandis que le géant s'affairait à charger les autres cubes du tas désigné dans un grand chariot déjà à moitié rempli. Soudain, le masque du Zoraï pivota vers l'étagère derrière laquelle Pü était dissimulé. Il leva sa main libre vers lui. Une main menaçante.

« Je te vois, voleur. Sors de là. »

À ces mots, Pü réalisa instantanément que le sorcier ne l'avait pas repéré visuellement, mais à travers la même sens qui lui permettait de percevoir le réseau de Sève qui irriguait Atys. La Zoraï insulaire n’avait définitivement pas menti : cet individu était assurément puissant. Sans se laisser intimider, le Zoraï sortit de sa cachette et s’avança, parcourant les ombres jusqu'à ce que la lumière des lanternes illumine pleinement son masque. À cette vue, le sorcier laissa échapper un petit rire.

« Oh, mais vous n’êtes pas un voleur ! Ou plutôt, pas n’importe quel voleur. Sang Fu-Tao le Masque Noir, premier parmi les Guerriers Noirs de Ma-Duk, père du prophétique Guerrier Sacré. Votre survie ne me surprend pas. Je dois dire que… »

Surpris, Pü laissa le sorcier parler, tandis que le bossu, indifférent à sa présence, s’activait à ramasser les cubes d’ambre que son maître lui avait indiqués. Comme Zunak, le meneur antékami qu’il avait rencontré à Zoran il y a trois ans, lui aussi connaissait sa famille. Était-il, tout comme l’Antékami, un vieil adversaire de son père ?

« … car à la fin du monde, seuls les Fortunés et les Appelés demeurent.

– Je ne suis pas Sang. Je suis son fils, répondit Pü, une fois que le sorcier eut terminé son monologue.

– Son aîné ? Ainsi, la prophétie s’est réalisée. Le Guerrier Sacré est en marche. Il est vrai que votre constitution est… singulière », dit-il en en scrutant Pü du masque aux pieds.

Pü n’eut pas le cœur de lui dire qu’il était encore confondu avec Niï, comme Zunak l’avait fait avant lui. Il préféra se concentrer sur le ton et l’attitude du sorcier, se demandant s’il n’y avait pas une intention moqueuse derrière ses paroles. N’étant pas très habile pour déceler les sous-entendus, il ne pouvait pas l’affirmer. Ce dont il était certain, en revanche, c’est que cet individu aimait s’écouter parler. Face à l'absence de réponse de Pü, il continua.

« Si vous avez survécu, j'espère qu’il en est de même pour votre mère et pour Bä-Bä. »

S'il était possible que l'individu se soit moqué de lui jusqu'à présent, ce n'était pas le cas cette fois-ci. Pü pouvait lire la sincérité dans son regard et percevoir l'inquiétude dans sa voix. Plus que jamais désireux de découvrir son identité, Pü décida de s'ouvrir à lui et s’avança de quelques pas.

« Malheureusement, ce n’est pas le cas. Grand-mère Bä-Bä et ma mère sont mortes, tout comme chaque membre de ma tribu. Nous avons réussi à repousser la première vague de kitins au cours d’un combat féroce, mais la seconde nous a été fatale. Par un triste concours de circonstances, je suis le seul survivant. Dites-moi, qui êtes vous ? Vous semblez bien connaître ma tribu.

– Oh, toutes mes condoléances. Je connais effectivement votre tribu et ses coutumes, comme toutes celles qui peuplaient autrefois la jungle, à vrai dire. Ces choses-là m’intéressent beaucoup. J'ai d’ailleurs eu l'occasion de croiser votre mère à plusieurs reprises à Zoran, lorsqu'elle représentait votre tribu en tant que diplomate. Quant à l’honorable Bä-Bä, je l'ai rencontrée, toujours en compagnie de votre mère, lors de conseils exceptionnels visant à comprendre et à vaincre la Goo, réunissant tous les érudits du pays, y compris les plus marginaux. »

Les yeux du sorcier, qui le fixaient jusque-là, se détournèrent vers le cube d’ambre qu’il tenait toujours en main. Pü ne sut pas s’il avait volontairement omis de lui révéler son identité, ou s’il était absorbé par ses pensées. Ce qui était en revanche certain, c’était que ses pensées étaient empreintes de sombres rancœurs, comme le démontra bientôt la longue diatribe dans laquelle il se lança.

« Ayez au moins le réconfort de savoir que votre tribu est partie avec courage et honneur, contrairement aux sages et bureaucrates de Zoran, qui ont piétiné leurs administrés pour garantir leur place dans les transporteurs de la Karavan. J'espère qu’ils ont été pourchassés dans leur fuite, et que leurs véhicules se sont écrasés dans les régions obscures et inexplorées qui bordent Atys ! Quant aux Kamis, après avoir passé presque trois siècles à nous répéter que nous étions leur peuple élu, aucun ne s’est manifesté au moment où nous avions réellement besoin d'eux, laissant la Karavan, qu’ils nous ont pourtant appris à tant hair, sauver les plus lâches et privilégiés d'entre nous… »

Tandis que le sorcier continuait d’exprimer son ressentiment, ses mains pressaient le cube avec une intensité croissante. Pü comprenait bien cette rancœur. Lui aussi avait éprouvé une profonde amertume, non pas envers la Théocratie, que son éducation l'avait conditionné à ne jamais estimer, mais envers les Kamis, malgré les explications que le Kami Noir lui avait fourni concernant leur absence au cours de l’invasion. Attendant que son interlocuteur ait terminé son nouveau monologue, afin de pouvoir lui redemander son identité, Pü fixa le cube en silence. Il se demanda si les ongles du sorcier, qui paraissaient s’enfoncer dans l’ambre, pouvaient altérer les idéogrammes inscrits. Plissant les yeux par réflexe, il parvint à déchiffrer ce qui était inscrit, malgré la pénombre : “Traité sur les pouvoirs mutagènes de la Goo. Par Fung-Tun.” Pü, qui comprit instantanément que le cube d’ambre renfermait un savoir dangereux, se rappela qu’il se trouvait précisément dans la section la plus privée de la bibliothèque. Et alors que, jetant un coup d'œil au cube coiffant la pile transportée par le bossu, Pü tentait de se faire une idée de son contenu, le sorcier interrompit soudain sa diatribe et fit trois pas en arrière.

« Il… Il est avec vous ? »

Il fallut bien cinq secondes à Pü pour saisir à quoi le sorcier faisait référence. Lorsqu’il se retourna, il sursauta en découvrant le Kami Noir lévitant derrière son épaule.

« Oui, il est avec moi », répondit Pü sans réfléchir.

C’était la première fois qu’il revoyait le Kami Noir depuis l’incident de Zu-Galam, et cela surchagea son esprit de pensées confuses. Il était toujours furieux contre lui.

« C’est… C’est comme s’il était sorti de vous ! C’est pour cela, ce flux dense de Sève en vous ? Qui êtes-vous réellement et que voulez-vous ? Vous êtes venu me le reprendre, c’est cela ? Jamais je vous laisserai faire ! Il est à moi ! hurla le sorcier en reculant de quelques pas supplémentaires.

– Non non, je ne suis pas venu vous voler, ni vous faire du mal, je souhaite simplement discuter ! »

Comme pour le contredire, le Kami leva l’une de ses petites mains et dirigea une griffe étincelante en direction du sorcier. À la vue de ses yeux blancs, chargés d’une terrifiante colère, le corps de Pü se figea. Depuis le jour où il avait libéré le Kami des Antékamis, et que celui-ci avait massacré ses ravisseurs, il ne l’avait jamais revu dans un tel état. Connaissait-il ce Zoraï ? Pourquoi lui voulait-il du mal ? Mais l’heure n’était aux questionnements. Pü sentit les particules spirituelles qui composaient son être entrer en résonance avec celles de la créature divine. Autour de lui, la pièce tout entière s’était mise à vibrer. Toujours perturbé par son apparition soudaine, il réagit en retard par rapport au sorcier, qui, après un moment de frayeur, s’était ressaisi avec une détermination farouche.

« Xe-Qe, attrape-le vivant ! »

Répondant aux ordres, le bossu bondit sur Pü avec une agilité surprenante pour un être de sa taille. En parallèle, le sorcier lâcha le cube d’ambre et, sans utiliser de gants amplificateurs, incanta un éclair d’une puissance phénoménale qui fusa vers le Kami, venant s’écraser contre sa griffe juste au moment où une décharge lumineuse en jaillissait. À la force de l’impact, et en voyant le sorcier ne pas flancher, Pü comprit que ce dernier évoluait dans une catégorie autrement supérieure à la sienne en tant que praticien de magie. Il était manifestement aussi expérimenté que l'avait été sa mère, bien qu’ayant plutôt l’âge qu'aurait dû atteindre son frère. Déséquilibré par la vague d’énergie, Pü ne parvint pas à esquiver totalement l'assaut du géant, qui réussit à saisir son bras avec sa main la plus protubérante. La pression de la prise confirma que la force brute du bossu était tout aussi exceptionnelle que sa taille, et Pü réalisa qu'il ne réussirait pas à en desserrer l’étreinte. Voyant que, après avoir réussi à l’attraper comme l’avait demandé son maître, son adversaire restait immobile, Pü dégaina de sa main libre l’épée volée au garde et lacéra le bras du géant. Mais, apparemment insensible à la douleur, celui-ci ne réagit pas et ne lâcha pas prise. Pendant ce temps, le sorcier maintenait son éclair face au Kami, qui contenait son assaut du bout de sa griffe. Malgré le pouvoir déployé, la créature divine, dont les yeux étaient toujours chargés de colère, paraissait à peine affectée. Elle commença à léviter lentement vers sa cible, implacable malgré la puissance de l’éclair. Craignant pour la vie du sorcier et bien qu'il n’ait initialement voulu blesser personne, Pü hésita à peine avant de trancher l’avant bras du géant, se promettant de le soigner une fois la crise apaisée. Lorsque l’énorme membre tomba au sol, son propriétaire réagit à peine et tenta d’attraper Pü avec son moignon. Mais le Zoraï s’était déjà précipité vers le Kami, bien déterminé à l’arrêter. Se rappelant qu'au moment de son enlèvement par l’oiseau noir, guidé par la colère, il s'était senti capable de pénétrer l’esprit son esprit et de le contrôler en aggripant son serre, il posa sa main sur sa fourrure.

« Cessez immédiatement ! Je vous l'ordonne ! »

Pü sentit le Kami vaciller, mais contrairement à la dernière fois, aucune chaleur intense ne le repoussa. La créature divine dévia l’éclair du sorcier d’un geste brusque, projetant ce dernier en arrière, et l’arc électrique alla trancher en deux une bibliothèque. Puis elle flotta jusqu’au sol. Elle flotta jusqu’au sol et s’y enfonça, lentement, comme si celui-ci n’avait aucune consistance, jusqu’à finalement disparaître. Pü se précipita vers le sorcier pour l’aider à se relever, mais celui-ci fut plus rapide et, toujours méfiant, brandit ses mains, probablement prêt à incanter un autre éclair.

« Je suis désolé, je ne sais pas ce qui lui a pris, dit Pü en levant les mains pour apaiser la situation. J’ai croisé d’autres homins ces dernières semaines, et c’est la première fois qu’il réagit ainsi. Il ne s’était d’ailleurs jamais montré à quiconque d’autre que moi avant aujourd’hui. Peut-être a-t-il pensé que ma vie était vraiment en danger. Ou alors… »

Pu s'accroupit et ramassa le cube d’ambre que le sorcier tenait encore quelques instants plus tôt.

« Peut-être ne vous visait-il pas vous, mais ceci. Ce savoir est dangereux et abhorré par les Kamis… Après tout, il est apparu au moment où j’ai lu ce qui y était inscrit. Peut-être voit-il à travers mes yeux.

– Il… Il voit à travers vos yeux ? protesta le sorcier. Mais par Jena, qui êtes vous réellement ! Vous avez commandé ce Kami et vous parlez de lui comme s’il n’était qu’un simple animal de protection.

– Je vous ai déjà dit qui j’étais. Moi en revanche, je ne sais toujours pas qui vous êtes. »

Décidant à nouveau de ne pas répondre, le sorcier abaissa ses mains et appela le dénommé Xe-Qe. L’imposant Zoraï s’avança, tenant son membre tranché dans sa main valide, et c’est avec une dextérité magique redoutable que son maître le greffa à son moignon. Toujours mutique, le bossu fit bouger ses doigts et observa sa main comme s’il la découvrait pour la première fois.

« Avant de vous répondre, je dois m’assurer que vous n’êtes pas ici pour me voler. Pourquoi avoir fait l’effort d’éliminer tous mes gardes pour vous introduire dans cette bibliothèque ? demanda-t-il finalement.

– Je n’ai tué personne. J’en ai simplement assommé quelques-uns. Et à nouveau, je n’ai aucune intention de vous voler. J’ai entamé un voyage il y a quelques semaines, avec pour objectif de rassembler les survivants d’Atys et de leur offrir ma protection. On m’a récemment informé qu’un puissant sorcier avait interdit l’accès à Taï-Toon. Je voulais simplement voir qui avait pris le contrôle de cette cité, comme les Antékamis l’ont fait avec Zoran.

– Ne me comparez pas à ces sauvages, cracha le sorcier en tendant la main vers Pü pour qu’il lui rende le cube d’ambre. J’ai ordonné à mes gardes de surveiller les entrées précisément pour empêcher que la cité, et surtout cette bibliothèque, ne soient mises à sac par des individus incultes ou dangereux. Ce savoir ne doit pas atterrir dans n’importe quelles mains.

– Et qu’est-ce qui vous rend plus apte que n’importe qui d’autre à manipuler ce savoir ? répliqua Pü en reculant sa main. Je ne sais toujours pas qui vous êtes.

Le sorcier fixa Pü avec une intensité palpable, comme s'il pesait soigneusement sa réponse, scrutant chaque détail de son masque. Le silence s'installa, lourd de sens, avant qu'il ne prenne enfin la parole, d'une voix grave et mesurée. Quatre mots seulement furent prononcés, comme si cela devait tout clarifier.

« Je suis Marung Horongi. »

Et effectivement, cela suffisait à expliquer beaucoup de choses. Parmi la poignée de magiciens contemporains célèbres dont Pü avait entendu parler par sa mère, et qu’il avait envisagé comme pouvant être le fameux sorcier, Marung Horongi se distinguait. Disciple le plus prometteur du Grand Sage Min-Cho, il était vu par certains comme le plus digne de ceux qui pourrait lui succéder et diriger la Théocratie à sa mort, bien que la tradition favorisât Hoi-Cho, le descendant de Min-Cho. L’histoire racontait aussi que Marung Horongi avait reçu son masque de parenté dès l'âge de six ans, un exploit hors du commun. Pü, dont le masque n’avait poussé qu’à dix ans — âge déjà considéré comme exceptionnel — avait eu du mal à y croire la première fois que sa mère le lui avait raconté. Quelques secondes passèrent avant qu’il ne lui tende enfin le cube d’ambre.

« Je ne suis pas vraiment étonné, j’ai entendu parler de vous. Et je pense malgré tout que vous devriez vous méfier de ce savoir dangereux.

– Ce savoir dangereux, comme vous l’appelez, est en de bonnes mains, répondit le sorcier en s’emparant rapidement du cube d’ambre, comme s’il craignait que Pü ne change d’avis. Il est en de bonnes mains parce que je comprends son pouvoir et ses implications.

– Vous ne seriez pas le premier à dire cela et à… »

La conversation fut brusquement interrompue par une petite voix tremblante provenant d’une pièce voisine. Pü se retourna et aperçut un Zoraï d’à peine cinq ans émerger de la pénombre, avançant d’un pas rapide, trahissant la peur qui l’habitait. Instinctivement, Marung tendit les bras en direction de Pü, prêt à agir au moindre signe de menace.

« Ma … Marung ? Ça va ? Il y a eu du bruit… »

En apercevant Pü, l’enfant s’arrêta net, ses yeux rivés sur le grand masque noir. Pu perçut immédiatement la peur sur le visage de l’enfant. Un visage encore dénué de masque. À cet instant, il était impossible de dire lequel des deux était le plus troublé par l’autre. Pü n’avait pas vu d’enfant depuis plusieurs années, et le visage innocent du petit, empreint d’une douceur qu’il avait presque oubliée, le bouleversa. Ses grands yeux noirs, emplis de crainte, surmontaient un nez légèrement retroussé et des joues rondes qui trahissaient encore toute la fragilité de l’enfance. Instantanément, Pü fut submergé par une émotion vive et sentit les larmes lui monter aux yeux. Ce visage nu, pur et vulnérable, contrastait cruellement avec l’horreur qui régnait sur Atys depuis l’invasion des kitins. C’était comme un fragment d’un autre temps, une vision d’une vie révolue. Une vie où les enfants chassaient les lucioles et se balançaient de liane en liane dans la souche familiale, tout comme il l’avait lui-même fait, avant que ses jeux ne cèdent la place à d'interminables entraînements martiaux. Une vie sans la douleur d'avoir dû recueillir les graines de vie des vingt-sept enfants de sa tribu, massacrés par les kitins, pour accomplir le rite funéraire qu'il s’était forcé à organiser, seul. Désespérément seul. Pü baissa la tête et fit glisser ses doigts le long des fentes oculaires de son masque.

« Tout va bien, ne t’inquiète pas, dit Marung en faisant signe à l’enfant de le rejoindre, voyant qu’aucun Kami n’avait surgit des ténèbres. Ce n’était rien, juste un malentendu. »

Le sorcier se baissa et serra le jeune Zoraï contre lui, lui offrant une protection réconfortante qui contrastait avec l’image que Pü s’était faite de lui.

« Qui est-ce ? demanda le garçon en pointant du doigt Pü, la curiosité surpassant peu à peu son angoisse.

– Juste un visiteur. C’est un Appelé, tout comme nous deux. Tu te souviens de ce que je t’ai expliqué sur les Fortunés et les Appelés ?

– Oui. Dans le nouveau monde, il y a deux sortes de gens. Ceux qui ont de la chance, et ceux qui doivent faire de grandes choses. »

Marung acquiesça en silence et se redressa. Saisissant l’émoi de Pü, il préféra ne pas le relancer et ordonna à Xe-Qe de reprendre son travail de chargement. L’enfant, figé, continuait de fixer le masque de Pü sans bouger.

« Je m’appelle Pü, finit par dire ce dernier une fois remis de ses émotions. Et toi, comment t’appelles-tu ?

– Nung Horongi. Je suis le frère de Marung. »

Troublé par la différence d’âge apparente, Pü jeta un coup d'œil interrogateur vers le sorcier, qui saisit la question silencieuse.

« Nous ne partageons pas le même sang. Je l’ai adopté il y a trois ans, dit-il en posant une main sur l’épaule de l’enfant, la serrant juste assez pour que le geste, censé être protecteur, prenne un tour possessif, presque oppressant. Lorsque je l’ai trouvé, il flottait dans les airs au-dessus de son village, que les Kitins avaient réduit en cendres. Fabuleux, non ? C’est pour lui que je craignais que vous ou votre Kami soyez venus ici. Nung est mon trésor, n’est-ce pas, Nung ? »

À ces mots, un sourire radieux illumina le visage de l’enfant, frappant Pü en plein cœur et ravivant en lui une émotion qu’il venait tout juste de réussir à contenir.

« Oui ! Je suis le trésor de Marung ! »

“Trésor”. C’était ainsi que sa mère l’appelait lorsqu’il était enfant. Pü, qui ne s’était jamais imaginé en tant que grand frère, et encore moins en tant que père, se surprit pour la première fois à s’imaginer responsable d’un enfant. Et cette idée fit germer un espoir dans son cœur. Oui, c’était cela qu’il voulait. Non pas spécifiquement devenir père, mais dédier sa vie à la protection d’êtres innocents, loin de l’obscurité et des fêlures qui le hantaient. Pour échapper à la douleur des pertes passées, aux souvenirs des atrocités qu’il avait dû commettre enfant sous l’emprise des traditions, et à celles qu’il semblait être destiné à perpétrer. Pour s’effacer et trouver un nouveau sens à sa vie.

Lui aussi voulait avoir un trésor à protéger.

Bélénor Nébius, narrateur


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