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{{Paragraphes FR|Pü rouvrit les paupières, masque contre écorce, la bouche pleine de suie et de sang. Malgré la violence du choc, le flux de Sève salvatrice dirigé contre la commotion cérébrale avait atteint son objectif. Il avait repris conscience. Conscience de son environnement. Conscience de son flanc gauche, totalement écrasé sous un colossal bloc de bois. Que s’était-il passé ? Combien de secondes était-il resté sans connaissance ? Alors, l’image du corps de Niï lui revint. En suspension. Au-dessus des ruines de la Place du Cérémonial. La patte d’une des créatures insectoïdes fichée dans l’abdomen. Et puis ce gigantesque morceau d’écorce, obscurcissant le ciel et l’écrasant de plein fouet. Totalement coincé et incapable de se retourner, Pü tenta d’appeler son frère. Malheureusement, seul un sifflement rauque s’arracha de sa gorge broyée, aussitôt noyé dans une mare de sang. Personne ne l’entendit, et pourtant, il continua, psalmodiant le nom de son frère tel un mantra, espérant l’invoquer. Espérant que l’invoquer l’aiderait à faire abstraction de l’immense douleur qui le meurtrissait. En partie comprimé sous plusieurs centaines de kilos de bois, il inondait son flanc gauche de Sève, quitte à étioler la partie droite. Le travail de régénération était démesuré, tant chaque mouvement qu’il effectuait pour s’extirper de son tombeau ouvrait un peu plus ses fractures, déchirait un peu plus ses plaies, mélangeait un peu plus les éclats de son armure à ses fluides. Il avait perdu connaissance seulement quelques secondes. Il n’aurait pas pu survivre plus longtemps, il en était certain. Il était encore temps. Son frère s’était déjà libéré de l’entrave de la créature, il en était sûr. | {{Paragraphes FR|Pü rouvrit les paupières, masque contre écorce, la bouche pleine de suie et de sang. Malgré la violence du choc, le flux de Sève salvatrice dirigé contre la commotion cérébrale avait atteint son objectif. Il avait repris conscience. Conscience de son environnement. Conscience de son flanc gauche, totalement écrasé sous un colossal bloc de bois. Que s’était-il passé ? Combien de secondes était-il resté sans connaissance ? Alors, l’image du corps de Niï lui revint. En suspension. Au-dessus des ruines de la Place du Cérémonial. La patte d’une des créatures insectoïdes fichée dans l’abdomen. Et puis ce gigantesque morceau d’écorce, obscurcissant le ciel et l’écrasant de plein fouet. Totalement coincé et incapable de se retourner, Pü tenta d’appeler son frère. Malheureusement, seul un sifflement rauque s’arracha de sa gorge broyée, aussitôt noyé dans une mare de sang. Personne ne l’entendit, et pourtant, il continua, psalmodiant le nom de son frère tel un mantra, espérant l’invoquer. Espérant que l’invoquer l’aiderait à faire abstraction de l’immense douleur qui le meurtrissait. En partie comprimé sous plusieurs centaines de kilos de bois, il inondait son flanc gauche de Sève, quitte à étioler la partie droite. Le travail de régénération était démesuré, tant chaque mouvement qu’il effectuait pour s’extirper de son tombeau ouvrait un peu plus ses fractures, déchirait un peu plus ses plaies, mélangeait un peu plus les éclats de son armure à ses fluides. Il avait perdu connaissance seulement quelques secondes. Il n’aurait pas pu survivre plus longtemps, il en était certain. Il était encore temps. Son frère s’était déjà libéré de l’entrave de la créature, il en était sûr. | ||
− | Finalement, après plusieurs minutes insoutenables, Pü réussit à se dégager de son cercueil. À peine fut-il libéré qu’il chuta dans la fosse, le masque le premier, sans même avoir le temps de regarder autour de lui. Le corps mutilé, à moitié nu, il s'écrasa sur un amas de chitine, et une autre image lui revint. Dans son souvenir, lui et ses compagnons avaient nettoyé la Place du Cérémonial après le premier assaut des créatures. Alors, comment pouvait-elle à nouveau être remplie de carcasses ? Il n’avait pourtant perdu connaissance que quelques secondes. Sonné et vidé, il rampa sur quelques mètres, entre des morceaux de carapaces calcinés. Combien de temps était-il réellement resté inconscient ? Son père, son frère et son oncle, où étaient-ils ? La vue obstruée par l'amoncellement de carcasses froides, le jeune Zoraï se dirigea vers le tas qui surplombait tous les autres. Il devait prendre de la hauteur. Le corps meurtri, encore incapable de se tenir debout, il commença de le gravir. L'ascension fut longue et difficile, mais il réussit pour finir à saisir la tuyère crâniale du kinrey qui coiffait le charnier. L’un de ceux qui avaient embroché son frère. Et alors qu’il se hissait au sommet dans un dernier effort, son regard se porta vers l’autre extrémité de la fosse, et sa vie bascula. Aussi profondes que fussent ses blessures, la pousse de son masque restait ce qu’il avait expérimenté de plus douloureux physiquement. En revanche, jamais rien ne l’avait préparé à la vision des corps transpercés de son père et de son oncle, poitrine contre poitrine, masque contre masque. Ils étaient cloués sur le mur de la fosse par une immense patte sectionnée. À sa couleur bleutée, il sut qu’elle appartenait au commandant des créatures auxquelles ses aînés avaient dû faire face. D’abord Ke’val, puis son père, puis le mur. L’Ombre s’était sacrifiée pour sauver le Masque Noir… | + | Finalement, après plusieurs minutes insoutenables, Pü réussit à se dégager de son cercueil. À peine fut-il libéré qu’il chuta dans la fosse, le masque le premier, sans même avoir le temps de regarder autour de lui. Le corps mutilé, à moitié nu, il s'écrasa sur un amas de chitine, et une autre image lui revint. Dans son souvenir, lui et ses compagnons avaient nettoyé la Place du Cérémonial après le premier assaut des créatures. Alors, comment pouvait-elle à nouveau être remplie de carcasses ? Il n’avait pourtant perdu connaissance que quelques secondes. Sonné et vidé, il rampa sur quelques mètres, entre des morceaux de carapaces calcinés. Combien de temps était-il réellement resté inconscient ? Son père, son frère et son oncle, où étaient-ils ? La vue obstruée par l'amoncellement de carcasses froides, le jeune Zoraï se dirigea vers le tas qui surplombait tous les autres. Il devait prendre de la hauteur. Le corps meurtri, encore incapable de se tenir debout, il commença de le gravir. L'ascension fut longue et difficile, mais il réussit pour finir à saisir la tuyère crâniale du kinrey qui coiffait le charnier. L’un de ceux qui avaient embroché son frère. Et alors qu’il se hissait au sommet dans un dernier effort, son regard se porta vers l’autre extrémité de la fosse, et sa vie bascula. Aussi profondes que fussent ses blessures, la pousse de son masque restait ce qu’il avait expérimenté de plus douloureux physiquement. En revanche, jamais rien ne l’avait préparé à la vision des corps transpercés de son père et de son oncle, poitrine contre poitrine, masque contre masque. Ils étaient cloués sur le mur de la fosse par une immense patte sectionnée. À sa couleur bleutée, il sut qu’elle appartenait au commandant des créatures auxquelles ses aînés avaient dû faire face. D’abord Ke’val, puis son père, puis le mur. L’Ombre s’était sacrifiée pour sauver le Masque Noir… En vain. Les deux plus grands guerriers de la tribu étaient désormais morts. Transi d’horreur par ce qu’il espérait n’être qu’une hallucination, Pü ne réagit pas. Mais la vision persista. Comprenant alors que tout ce qu’il voyait était bien réel, il fut incapable d’encaisser le choc et s’endormit en lui-même. Le peu qui lui restait d'innocence venait de voler en éclats en même temps que sa raison. |
{{Couillard}} | {{Couillard}} | ||
− | C’est debout face à la hutte de Grand-Mère Bä-Bä, au sommet du village, bien loin de la fosse, que Pü reprit pleinement conscience. Debout et chancelant. Fiévreux. Nauséeux. La bave aux lèvres et le regard vitreux, il jeta un œil autour de lui, totalement désorienté. Il voyait flou, n’entendait rien et sentait la mort. La mort. Partout autour de lui. Sur lui. L’odeur des tripes, l’odeur âcre des monstres, l’odeur de la chair morte. En lui. Le goût de la bile, le goût du sang, le goût des larmes. La douleur. Autour de lui, sur lui, en lui. Dans sa chair, dans son cœur. La douleur des uns, la douleur des autres. L’odeur du plus rien, le goût de la fin. Les souvenirs. En lui. Les heureux, les tristes. Le souvenir des morts. Ceux d’hier et d’aujourd’hui. Son oncle, son père, et tous ceux qu’il avait croisés en remontant vers la hutte. C’est-à-dire tous. Car tous n’étaient plus que souvenirs. Tous ! Les enfants, les anciens. Tous ! Tous ! Tous ! La mort, sur lui. Entre ses mains. La tête de son frère, entre ses mains. Froide. Tombée au bord du chemin, retrouvée entre plusieurs têtes. Celles d’enfants et d’anciens. La tête de son frère, de ce frère qu’il avait abandonné, qu’il n’avait pas sauvé. La tête de son frère. Grimaçante, sanglante, au masque fêlé. La tête de son grand-frère protecteur, qui l’avait consolé d’un « Je t’aime » avant de se sacrifier. Son grand-frère aimant, qui, avant de se jeter dans la fosse, lui avait ordonné de retrouver leur mère. Leur mère, qu’ils aimaient tant. Leur mère, qui en un claquement de | + | C’est debout face à la hutte de Grand-Mère Bä-Bä, au sommet du village, bien loin de la fosse, que Pü reprit pleinement conscience. Debout et chancelant. Fiévreux. Nauséeux. La bave aux lèvres et le regard vitreux, il jeta un œil autour de lui, totalement désorienté. Il voyait flou, n’entendait rien et sentait la mort. La mort. Partout autour de lui. Sur lui. L’odeur des tripes, l’odeur âcre des monstres, l’odeur de la chair morte. En lui. Le goût de la bile, le goût du sang, le goût des larmes. La douleur. Autour de lui, sur lui, en lui. Dans sa chair, dans son cœur. La douleur des uns, la douleur des autres. L’odeur du plus rien, le goût de la fin. Les souvenirs. En lui. Les heureux, les tristes. Le souvenir des morts. Ceux d’hier et d’aujourd’hui. Son oncle, son père, et tous ceux qu’il avait croisés en remontant vers la hutte. C’est-à-dire tous. Car tous n’étaient plus que souvenirs. Tous ! Les enfants, les anciens. Tous ! Tous ! Tous ! La mort, sur lui. Entre ses mains. La tête de son frère, entre ses mains. Froide. Tombée au bord du chemin, retrouvée entre plusieurs têtes. Celles d’enfants et d’anciens. La tête de son frère, de ce frère qu’il avait abandonné, qu’il n’avait pas sauvé. La tête de son frère. Grimaçante, sanglante, au masque fêlé. La tête de son grand-frère protecteur, qui l’avait consolé d’un « Je t’aime » avant de se sacrifier. Son grand-frère aimant, qui, avant de se jeter dans la fosse, lui avait ordonné de retrouver leur mère. Leur mère, qu’ils aimaient tant. Leur mère, qui en un claquement de doigts, le réveillerait de ce cauchemar. |
Couvert de sang et de vomissures, tremblant et vacillant, Pü tituba vers la hutte, serrant contre son cœur la tête de Niï. Il passa les rideaux et sa poitrine se souleva. Grand-Mère Bä-Bä le regardait, agenouillée sur le sol au chevet de Looï, qui avait elle aussi le masque tourné vers lui. Le jeune Zoraï courut vers les deux homines et s'effondra sur sa mère. Il posa sur la couche la tête froide de son frère et blottit son masque contre sa mère. Ses larmes coulaient à flots quand il hoqueta : | Couvert de sang et de vomissures, tremblant et vacillant, Pü tituba vers la hutte, serrant contre son cœur la tête de Niï. Il passa les rideaux et sa poitrine se souleva. Grand-Mère Bä-Bä le regardait, agenouillée sur le sol au chevet de Looï, qui avait elle aussi le masque tourné vers lui. Le jeune Zoraï courut vers les deux homines et s'effondra sur sa mère. Il posa sur la couche la tête froide de son frère et blottit son masque contre sa mère. Ses larmes coulaient à flots quand il hoqueta : | ||
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— Mais… Pourquoi ? Je… Je ne veux pas Grand-Mère. Je n’y ai jamais cru. Je ne peux pas porter ce fardeau… | — Mais… Pourquoi ? Je… Je ne veux pas Grand-Mère. Je n’y ai jamais cru. Je ne peux pas porter ce fardeau… | ||
− | — Je le sais, mon enfant, je le sais si bien… Par mon mensonge, j’ai voulu te protéger. Nous protéger. Mais finalement, le dessein que te réserve Ma-Duk semble inévitable… En désignant Niï comme futur Masque Noir et Guerrier Sacré, j’ai cru pouvoir inverser le cours des choses, en vain… Tu es un gentil garçon Pü. Tu es si bon. Alors fais-moi mentir. Libère-les | + | — Je le sais, mon enfant, je le sais si bien… Par mon mensonge, j’ai voulu te protéger. Nous protéger. Mais finalement, le dessein que te réserve Ma-Duk semble inévitable… En désignant Niï comme futur Masque Noir et Guerrier Sacré, j’ai cru pouvoir inverser le cours des choses, en vain… Tu es un gentil garçon Pü. Tu es si bon. Alors fais-moi mentir. Libère-les d’''Elle''. Puis libère-toi de ''Lui''. Dans l’espoir des Jours Heureux… |
— Me… Me libérer ? Les… Les Jours Heureux ? Tout le monde est mort Grand-Mère… Les Jours Heureux n’existent pas… Ce monde est si cruel… Je veux mourir… » | — Me… Me libérer ? Les… Les Jours Heureux ? Tout le monde est mort Grand-Mère… Les Jours Heureux n’existent pas… Ce monde est si cruel… Je veux mourir… » |